20e dimanche du temps ordinaire A – 16 août 2020
Is 56, 1.6-7 – Ps 66 – Rm 11, 13-15.29-32 – Mt 15, 21-28
Homélie du P. Franck Gacogne.
Je suis sûr que cela vous est tous déjà arrivé de vous faire poursuivre indéfiniment par quelqu’un avec qui vous ne voulez rien avoir à faire. Quelqu’un qui sans cesse vous réclame quelque chose qui ne vous concerne pas. Quelqu’un dont vous redouter la rencontre parce que vous ne voulez rien avoir à faire avec lui ou avec elle. Je suis certain qu’il ne faut pas bien longtemps pour que chacun de nous puisse mettre un visage sur cette description.
Eh bien c’est un peu ce qui se passe pour Jésus quand il rencontre cette femme Cananéenne. A notre époque, on dirait que cette Cananéenne est véritablement entrain de harceler Jésus. C’est d’ailleurs presque ce qu’il fait après avoir commencé par l’ignorer. Regardons ensemble ce qui se passe vraiment dans cette histoire.
Juste avant ce passage de l’évangile de Matthieu, Jésus se trouve à Génésareth dans le nord de la Galilée. Et il se rend dans la région où se trouvent les villes de Tyr et de Sidon c’est-à-dire en Syro-Phénicie dans une terre étrangère, une terre païenne. Voici qu’une Cananéenne visiblement bien renseignée sur Jésus vient à sa rencontre lui crier toute sa détresse, on perçoit à travers son cri tout l’amour d’une mère qui a mal à cause de la souffrance de sa fille, qui souffre avec elle. Mais voilà que cette étrangère pose un premier acte de foi puisqu’elle appelle Jésus « Fils de David » : elle l’inscrit donc dans la lignée du roi David d’où était attendu le messie. Elle affirme ainsi que Jésus est le Messie attendu.
Jésus garde le silence. Cette conduite de Jésus peut alors nous apparaître comme un dédain vis-à-vis d’elle. Une attitude qui nous surprend sans doute, mais ce comportement de Jésus envers cette femme était tout à fait normal, ou du moins recommandé par la loi étant donné l’origine de chacun. Un juif, qui plus est « Fils de David » n’était tenu en aucune circonstance d’adresser la parole à un païen, et le fait qu’il s’agisse en plus d’une femme ne faisait que renforcer cette règle. Les disciples qui accompagnent Jésus eux, ne semble plus supporter la présence de cette femme et de ses cris. Lui faire grâce leur semblent la manière la plus efficace et sans doute la plus expéditive pour s’en débarrasser le plus rapidement possible. « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues d’Israël » Jésus semble ainsi vouloir justifier son attitude. Il rappelle ici que sa mission et celle de ses disciples se restreint à Israël, et plus particulièrement à ceux d’Israël qui sont « perdus ». Mais voilà que ses cris redoublent : « Seigneur, viens à mon secours ! », citation des psaumes : voilà un deuxième acte de foi qui montre sa connaissance de la loi juive.
La pointe du récit est dans la réponse énigmatique de Jésus : « il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». Si l’on en reste au sens premier, nous sommes tous d’accord avec cette phrase, le besoin des enfants est bien sûr prioritaire, mais quel rapport avec le dialogue et la situation rencontrée par Jésus ? Et bien l’interprétation la plus courante voudrait que les petits chiens représentent les païens, et les enfants ceux de Dieu, c’est-à-dire Israël. « il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». Pour Jésus, exaucer cette femme impliquerait une sorte de négligence envers le peuple élu, envers une promesse établie avec lui comprise comme exclusive. Il faut également remarquer dans cette réponse cinglante de Jésus, la supériorité du peuple élu représenté par des enfants ayant droit à la nourriture promise, alors que les païens quant à eux sont considérés comme des chiens. Mais voilà que la cananéenne tient tête à Jésus et elle va lui faire une réponse lumineuse et pleine de bon sens qui va le sidérer : « Oui Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ». Elle l’appelle à nouveau « Seigneur » : troisième acte de foi. Dans sa réponse, la Cananéenne réutilise les propres images de Jésus. Elle commence par accepter cette situation d’infériorité dont elle a connaissance. Elle fait remarquer que les petits chiens c’est-à-dire les païens sont conscients de leur place, c’est pourquoi ils ne se jettent pas sur le pain de la table, et n’attendent pas plus de la part de leurs maîtres qu’ils le leur en donnent ; ils se contentent de manger les miettes qui tombent de la table. Ce que les petits chiens récupèrent, c’est bien les miettes, c’est-à-dire ce qui est perdu. En filigrane, la Cananéenne ne répond-t-elle pas à Jésus que ce sont donc bien les païens qui s’occupent des « brebis perdues de la maison d’Israël » ? A leur place, ils profitent même infimement des événements qui se déroulent en Israël.
Le dénouement est alors tout à fait imprévu. Retournement complet de situation : Jésus devient admiratif : « Femme, grande est ta foi ». Dimanche dernier, Jésus disait à Pierre qui coulait : « homme de peu de foi ». Ici, Jésus reconnaît sa grande foi, il reconnaît qu’elle a raison, et il s’adresse maintenant directement à elle par un « tu ». En adhérant ainsi à l’affirmation de cette femme, il reconnaît aux païens le droit d’être accueillis, d’avoir une participation au salut. C’est finalement cette cananéenne, une étrangère avec qui il n’aurait jamais dû avoir le moindre contact, qui lui révèle que sa mission s’étend bien au-delà de ce que lui même avait imaginé. Matthieu écrit ce récit au moment où l’Eglise naissante commence à prendre conscience que sa mission d’évangélisation s’adresse à tous et non pas seulement au peuple élu : c’est un tournant de l’évangile.
Je crois qu’il y a ici une vraie leçon à en tirer pour le dialogue inter-religieux. Chacun de nous ne s’est-il pas un jour trouvé à un tournant de sa vie dans la rencontre de personnes non croyantes, ou des croyants d’une autre religion ? Des personnes qui ont pu nous édifier par leur foi, par leur ténacité, leur cohérence, par leur volonté d’entrer en dialogue. Rendons grâce si ces personnes ont pu nous transformer et même nous re-convertir à notre propre foi d’une manière plus ajustée. Qu’à la manière de Jésus, nous sachions en être admiratif et le dire : « ta foi est grande ». Amen