Je suis sûr que cela nous est tous déjà arrivé de voir certains de nos amis, de nos voisins ou des membres de notre famille glisser sur une mauvaise pente. Quand en conscience, nous pensons sincèrement qu’ils font de mauvais choix, (du moins c’est ce que nous estimons), quand nous voyons des personnes foncer tête baissée dans des situations catastrophiques, où elles risquent de ne pas s’en sortir, je pense au surendettement, à des jeunes qui essayent la drogue. Quand nous en voyons d’autres que nous aimons et que nous estimons se faire arnaquer ou rouler dans la farine par des gens peu scrupuleux qui n’en veulent qu’à leur argent. Quand nous sommes témoin de cela, nous essayons de savoir si ce que l’on constate douloureusement et qui nous tracasse est partagé par d’autres, on veut être rassuré, savoir si on ne se fait pas un film !
Considérons d’abord que ces sentiments sont très importants et très honorables, car ils signifient que l’autre ne m’est pas indifférent. Il n’empêche que nous demeurons tiraillés entre l’envie de leur en toucher un mot, mais nous savons combien c’est délicat : comment, et de quelle manière le faire ; et par ailleurs, l’envie de renoncer, choisir de ne pas s’en mêler car on ne voit pas toujours au nom de quoi nous pourrions prétendre savoir ce qui est bien pour l’autre. Eh bien, je crois que c’est la situation très concrète et toujours actuelle que nous présente St Matthieu dans son évangile. Pas simple, mais il y a 2000 ans comme aujourd’hui nous pouvons être confrontés au même dilemme.
Eh bien je crois que l’évangile et la seconde lecture de ce jour nous éclairent sur cette question. Les lectures nous invitent à prendre véritablement conscience que nous ne sommes pas ce matin des individus placés les uns à côtés des autres un peu par hasard. Non, nous formons, nous constituons un corps, une communauté que le Christ rassemble, son Eglise. C’est Jésus Christ qui est le cœur, le foyer (comme le foyer d’une ellipse) de notre rassemblement. Il est Celui qui est au milieu de nous parce que nous sommes plus de deux ou trois à être réunis en son nom. Réuni en son nom, nous l’avons signifié au début de l’eucharistie par le signe de croix. Et bien au nom du Christ, l’attention à l’autre n’est pas une option courageuse réservée à tel ou tel d’entre nous, je crois que c’est un devoir pour chacun. Décider avec quelques uns d’aller discuter avec telle personne que l’on sent en difficulté, ce n’est pas se mêler de ce qui ne nous regarde pas, mais c’est l’aimer. C’est parce que j’aime, que j’estime, que je respecte cette personne que je ne peux pas tolérer qu’elle puisse s’enliser dans une situation ou dans une impasse dont seule elle ne peut elle même se rendre compte. Voici ce que dit Paul dans cette lettre aux romains : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain ». Les vrais amis ne sont pas ceux qui sont toujours d’accord avec moi, qui me soutiennent dans tout ce que j’entreprends, mais bien plutôt ceux qui, comme des frères, sont capables de me dire en face quand je vais dans le mur. Cet évangile nous invite à pratiquer la « correction fraternelle ». C’est un chemin de crête périlleux, c’est vrai, mais Jésus ne nous a jamais dit que cheminer en frères étaient facile ; en revanche, il nous a dit que c’est à cela que l’on nous reconnaîtrait pour ses disciples.
Dans l’Ancien Testament, on trouve cette règle d’or dans le livre de Tobie : « ne fais à personne ce que tu n’aimerais pas subir » (Tb 4, 15), mais dans le Nouveau Testament, dans l’évangile de Matthieu, cette même règle est formulée très différemment : « tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux » (Mt 7, 12). On voit bien ici toute la subtilité du passage d’une formulation négative qui pouvait facilement installer l’homme dans une attitude passive et individualiste, à une formulation positive qui l’invite à inventer et à prendre des initiatives pour rencontrer l’autre et l’aimer.
Je pense qu’une « assemblée » peut prendre le nom de « communauté rassemblée » : Eglise, quand : « un membre souffre, et que tous les membres partagent sa souffrance ; quand un membre est à l’honneur, et que tous partagent sa joie. » comme le dit Paul dans sa première lettre aux Corinthiens (1 Co 12, 26). C’est le vœux et l’espérance que je formule pour notre paroisse en cette rentrée, afin que par chacun d’entre nous, elle soit fraternelle et solidaire, toujours ouverte à la différence et à l’accueil de tous. Ainsi nous serons des témoins authentiques de la Bonne Nouvelle, « l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour. » Amen.