25e dimanche du temps ordinaire A – 20 septembre 2020
Is 55, 6-9 – Ps 144 – Ph 1, 20c-24.27a – Mt 20, 1-16
Homélie du P. Franck Gacogne.
« C’est vraiment dégueulasse ! » : réaction à chaud entendue d’un lycéen qui entendait pour la première fois cette parabole. En effet, invitez Jésus à la rencontre syndicale d’une grande compagnie aérienne : il demandera que le dernier bagagiste employé dans la compagnie reçoive autant que le commandant de bord qui a 20 ans d’ancienneté ! Jésus serait immédiatement convoqué au conseil des prud’hommes et je doute fort que sa revendication serait bien reçue ! Alors la proposition de Jésus serait-elle injuste ? Toute la question est là. Je vous propose un sondage à bras levé : qui pense que dans la parabole, l’attitude du maître de ce domaine envers ses ouvriers est injuste ? Qui pense que son attitude est juste ?
La réaction de ce lycéen : « C’est vraiment dégueulasse ! » au plus profond de nous-mêmes, c’est aussi la nôtre ! Mais au fond qu’est-ce qui nous fait réagir ainsi ? Car les premiers de la parabole n’ont pas été lésés puisqu’ils ont reçu précisément et exactement ce qui était convenus. Et les derniers quant à eux ont reçu « ce qui est juste » nous dit l’histoire, et il se trouve que « ce qui est juste » correspond en fait à la même somme. Comme le faisait remarquer un autre lycéen, le maître commence délibérément par donner le salaire aux derniers venus pour permettre aux premiers d’en être témoins de s’interroger. Mais voilà ce qu’il se passe dans nos esprits : bien qu’intérieurement satisfait de recevoir le salaire convenu, nous ne pouvons nous empêcher de vouloir comparer avec ceux qui en auraient moins fait, et espérer, sinon revendiquer une rallonge avant de crier à l’injustice. Car enfin, comment ces derniers venus pourraient-ils bénéficier des avantages, des privilèges, de la reconnaissance, des honneurs que j’ai mis tant de temps à acquérir !
« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » Voilà la réponse inédite du Maître de la vigne. La bonté du Seigneur pour chacun de nous est bien déstabilisante, et difficile à comprendre, justement parce qu’elle ne nécessite pas de se gagner, elle n’est pas le dû de quelques méritants qui pourraient s’enorgueillir de la posséder. Sa bonté s’accueille comme un juste don, elle est gracieuse au sens d’un don gratuit sans contre-partie, et elle n’attend en fin de compte que notre consentement tôt ou tard. Voici ce qu’on peut lire dans la lettre de Paul aux Romains au chapitre 4, 4-5 : « Si quelqu’un accomplit un travail, son salaire ne lui est pas accordé comme un don gratuit, mais comme un dû. Au contraire, si quelqu’un, sans rien accomplir, a foi en Celui qui rend juste l’homme impie, il lui est accordé d’être juste par sa foi. »
Je rapproche volontiers cette parabole à un passage de la fin de l’évangile de Luc, quand Jésus est crucifié. Les appelés de la première heure, c’est-à-dire les Apôtres, ont alors tous fuis par crainte d’être eux aussi arrêtés, et Jésus se trouve entourés de deux brigands sur la croix. L’un d’eux est ce dernier qui demande à Jésus : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. » (Lc 23, 42). Mais Jésus ne dit pas à ce dernier « attends un peu ! D’autres ont répondus bien avant toi et ont plus de mérites ». Non, il répond à ce dernier : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. ». Il en est alors le premier bénéficiaire. Pas moins ou pas plus que les autres, mais seulement le premier chronologiquement parlant, parce que le premier au côté de Jésus à traverser la mort et avec lui sa résurrection. Par la résurrection, il reçoit la vie de Dieu, non pas à 5, 10 ou 30% selon son mérite. Non il reçoit toute la vie du Christ en son paradis, aujourd’hui et maintenant.
Seigneur, quel qu’en soit le moment tu ne sais qu’accueillir avec joie tous celles et ceux qui répondent à ton invitation inlassablement réitérée à toute heure de notre vie. Seigneur Jésus, je crois que tu ne sais pas compter ! En réalité, ce qui est juste pour toi ce n’est pas de répartir tes dons selon les mérites des uns ou des autres ; mais c’est que tous aient le don, le maximum. Voilà ce qui est juste ! Tu ne sais pas fragmenter. Tout ce que tu as, tu le donnes au premier comme au dernier venu. Car cette pièce d’argent, c’est le Royaume, cette pièce d’argent, c’est tout ! Cette pièce d’argent, c’est Toi Seigneur ! Amen.