29e dimanche du temps ordinaire A – 18 octobre 2020
Is 45, 1.4-6 – Ps 95 – 1 Th 1, 1-5b – Mt 22, 15-21
Homélie du P. Franck Gacogne
Séparatisme ? « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». La tentation est grande et le raccourci facile, celui de vouloir illustrer ou appuyer des propos récents entendus dans un discours par les paroles de Jésus lui-même que nous réentendons aujourd’hui. Et cette tentation n’est sans doute pas d’aujourd’hui car nous le savons bien, ces mots de Jésus sont devenus une expression populaire, pour ne pas dire populiste, qui ne cite jamais ni sa source ni son contexte.
Revenons donc d’abord à l’évangile. De tout temps, quand il s’agit de payer un impôt, les réactions fusent, et les points de vue s’opposent. Au temps de Jésus, il en était de même. Chacun avait son avis sur la question, et c’était là une bonne occasion de pouvoir enfin piéger Jésus. Un complot s’organise pour le faire tomber dans un traquenard : deux groupes qui habituellement ne peuvent pas se sentir vont se concerter : d’un côté, il y a des partisans d’Hérode, collaborateurs de l’occupant romain, donc d’accord avec le versement de l’impôt et centrés sur la politique. De l’autre, il y a des pharisiens acceptant malgré eux cette taxe afin de garder leur liberté religieuse, donc des personnes centrées sur la religion et la loi juive. Et voilà que ces deux groupes qui ne se fréquentent pas, le politique et le religieux abordent ensemble Jésus pour le faire tomber dans un piège. Après avoir bien pris le soin de le flatter, ils lui posent cette question : « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? ».
C’est le propre des personnes malveillantes que de poser des questions fermées pour faire tomber leur interlocuteur. Il n’y a pas d’échappatoire. Qu’elle que soit sa réponse, oui ou non, Jésus allait se mettre à dos l’un ou l’autre des groupes qui l’interrogent. Eh bien Jésus sort de cette logique du permis-défendu pour les mettre face à leur responsabilité. On lui montre la monnaie de l’impôt. Cette monnaie a une effigie, elle représente César, c’est donc qu’elle lui appartient, « vous n’avez qu’à la lui rendre », dit Jésus ; ainsi, il satisfait les partisans d’Hérode. Par contre nous savons que cette monnaie comportait aussi une légende, une inscription : « Tibère divin César », et là Jésus conteste ce titre de dieu que l’empereur s’est lui-même donné en leur demandant de rendre au vrai Dieu ce qui lui revient ; ainsi, il satisfait les pharisiens.
Ce qui revient à César ce ne sont que des pièces frappées à son effigie, mais que pourrait-il donc revenir alors à Dieu ? Eh bien, je dirais de la même manière : ce qui est à son effigie, c’est-à-dire tous les hommes créés à son image et pour sa ressemblance. Toute cette humanité qui porte en elle cette empreinte du Dieu vivant, plus particulièrement lorsqu’elle est asservie, exclue ou précarisée.
Jésus ne cherche pas à se mettre tout le monde dans la poche, mais bien au contraire à renvoyer chacun à sa raison et à l’exercice de sa conscience. Le politique et le religieux s’étaient assemblés, unis, concerté, pour monter un stratagème afin de mettre Jésus à l’épreuve. Et Jésus renvoi chacun d’eux en leur demandant de ne pas mélanger les genres, le politique et religieux, sans pour autant choisir l’un à l’exclusion de l’autre. Cela peut nous poser des questions très concrètes à chacun : Est-ce que, de ma foi en Jésus-Christ, en découlent des convictions et des engagements déterminés et choisis dans la vie dans la cité, et lesquels, pourquoi ? Est-ce qu’un engagement politique visible doit taire et mettre sous le boisseau mes convictions chrétiennes ? Je crois que l’évangile de ce jour peut nous aider à éclairer ces questions.
Il y a des personnes qui cherchent à fusionner le politique et le religieux sans trop chercher à les distinguer. A l’échelle d’une nation, quand la loi de l’Etat et la loi de Dieu se confondent, on parle de « religion d’Etat » ou d’« Etat religieux », avec toutes les dérives et les atteintes aux droit fondamentaux que ces situations entraînent toujours. Les médias nous en rapportent suffisamment de tristes exemples. A l’inverse, il y a ceux, et c’est peut-être plus une tentation pour nous, qui choisissent leur camp : être un militant engagé sur terrain au coude à coude avec tous ; ou bien approfondir sa vie spirituelle et partager ouvertement sa foi. Des personnes pensent que ces deux attitudes sont incompatibles, elles choisissent alors l’une ou l’autre. Mais en répondant ni oui ni non à la question piège, Jésus ne choisit pas une attitude au détriment de l’autre. Mais lui-même en sa personne en est la synthèse : Dieu choisit de se faire homme en Jésus, et c’est en tant que Fils de Dieu qu’il va s’engager dans les profondeurs humaines et prendre une place si engagée auprès des plus petits qu’il en sera contesté et mis à mort.
Vous le savez, notre pays vient de vivre un nouveau drame d’une atrocité inouï que l’on croit venue d’un autre temps. Il y a 2 semaines, le pape François nous a adressé une lettre encyclique sur la fraternité et l’amitié sociale intitulée « Fratelli tutti », tous frères. Dans ce texte, il nous dit que ce qui a motivé sa lettre, c’est sa visite au grand Imam Ahmad Al-Tayyeb en Arabie Saoudite en février 2019. Visite au cours de laquelle ils ont écrits et signé ensemble un texte sur la « fraternité humaine ». 20 mois après, le pape François est encore marqué par cette rencontre et il nous rappelle dans son encyclique l’appel qu’ils avaient rédigé et signé ensemble. Je les cite : « nous déclarons – fermement – que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes pour les conduire à accomplir ce qui n’a rien à voir avec la vérité de la religion, à des fins politiques et économiques mondaines et aveugles. C’est pourquoi nous demandons à tous de cesser d’instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle et de cesser d’utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression. Nous le demandons par notre foi commune en Dieu, qui n’a pas créé les hommes pour être tués ou pour s’affronter entre eux et ni non plus pour être torturés ou humiliés dans leurs vies et dans leurs existences. En effet, Dieu, le Tout-Puissant, n’a besoin d’être défendu par personne et ne veut pas que Son nom soit utilisé pour terroriser les gens. »
Qu’avec tous nos frères croyants, nous puissions faire nôtre ce souhait et ensemble être porteur de cette même espérance. Amen.