32e dimanche du temps ordinaire A – 8 novembre 2020
Sg 6, 12-16 – Ps 62 – 1 Th 4, 13-18 – Mt 25, 1-13
Homélie du P. Michel Quesnel
Nous aurions sans doute préféré, pour la deuxième partie de la parabole des Dix Vierges, le texte suivant :
Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes. Au milieu de la nuit, il y eut un cri : « Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre. » Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe. Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : « Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent. » Les prévoyantes leur répondirent : « Cela risque de ne pas suffire pour nous et pour vous. Mais tant pis, nous ne voulons pas que vous soyez punies de votre imprévoyance. » Et elles partagèrent leur huile. L’époux arriva enfin, et toutes se mirent en route avec lui. A mi-chemin cependant, l’huile venant à manquer, les lampes commencèrent à s’éteindre. L’époux s’en étonna, et les prévoyantes lui expliquèrent qu’elles avaient partagé leur huile avec les cinq autres jeunes filles. L’époux se mit à rire et déclara : « Vous avez bien fait. Continuons au clair de lune, en essayant de faire attention aux obstacles et de ne pas trébucher en chemin. » Finalement le cortège arriva sans encombre à la salle de noces, et tous prirent part à la fête.
C’est plus sympathique ainsi, non ? Il y a de la charité, du partage, des bons sentiments, et de la joie pour tout le monde. Oui, mais la vie n’est pas faite seulement de bons sentiments. Elle comporte une part de gravité dont nous avons à tenir compte, quelle que soit la grandeur de la miséricorde divine. En ces derniers dimanches de l’année liturgique, alors qu’approche le début du temps de l’Avent, nous sommes appelés à la vigilance.
Car l’époux n’est pas seulement un marié ordinaire. Il est le juge des vivants et des morts qui, aux temps ultimes, viendra peser les âmes et les corps des personnes humaines pour vérifier si elles ont une consistance suffisante ; et, si elles ne l’ont pas, elles seront en situation désavantageuse par rapport à celles qui ont exercé une juste vigilance. Ou, pour employer une autre image, il est aussi le Fils de l’homme, le Roi du Jugement dernier qui, tel un berger connaissant son métier, placera les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche (Mt 25, 31-46).
Comme nous n’avons pas à nous juger nous-mêmes, la distinction entre brebis et boucs nous interdit de nous classer dans l’une ou l’autre de ces deux catégories. En cette vie, nous ne savons pas à laquelle nous appartenons, sans doute un peu aux deux, car il y a en chacun de nous une part d’insouciance coupable et une part de charité active. Tiraillés entre les deux, nous sommes appelés à continuer de nous laisser interroger par des exigences évangéliques souvent contradictoires.
Lorsque nous pensons au sort des humains dans l’au-delà, deux convictions nous viennent en effet à l’esprit, difficiles à concilier. La première : le Dieu biblique est un Dieu de miséricorde et de pardon qui ne laisse personne abandonné au bord du chemin. La seconde : Dieu est un juge qui fait la différence entre les humains qui, d’une part, l’ont aimé et ont aimé leurs frères, et les humains qui, d’autre part, ont vécu dans une totale insouciance, profitant de tout pour eux-mêmes sans aucun souci des autres.
Si nous étions déjà fixés sur notre destinée ultime, ce serait paralysant. Ou bien nous nous assimilerions aux jeunes filles prévoyantes et nous nous endormirions en nous berçant de cette sécurité. Ou bien nous nous identifierions aux jeunes filles insouciantes, désespérés dès le départ de ne pas avoir provisionné assez de bonnes œuvres.
Ni cette sécurité ni cette désespérance ne sont saines. Quelle que soit la situation dans laquelle nous sommes, nous avons à remplir d’huile nos lampes si elles sont faiblement approvisionnées, et à nous soucier de ce qu’elles restent bien pleines si nous avons fait des provisions suffisantes. Dans les deux cas, la vigilance est nécessaire.
En deuxième lecture, nous a été proposée une page de la première épître aux Thessaloniciens qui nous donne une description très imagée de la fin des temps, avec des réveils successifs. Elle est cohérente avec le passage qui nous sera proposé la semaine prochaine, et dans lequel Paul déclare : « Vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour ; nous n’appartenons pas à la nuit et aux ténèbres. Alors, ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres » (1 Th 5, 5-6).
La vigilance : le mot ne fait partie du vocabulaire des personnalités politiques en cette période de pandémie ; les pouvoirs publics parlent plutôt de distanciation, de gestes barrière… Mais, dans la perspective chrétienne, le terme de vigilance se surajoute aux termes employés par les pouvoirs publics. Il nous revient de cultiver en nous le goût de l’intimité avec Dieu et de l’intériorisation. Il nous revient aussi de nous unir à nos frères humains pour leur apporter, à la mesure de nos moyens, le réconfort qui les aidera à vivre au moins mal cette période étrange, où beaucoup risquent de se sentir perdus et abandonnés. Que Dieu nous aide à répondre à ces appels.