4e dimanche du temps ordinaire B – 31 janvier 2021
Dt 18,15-20 – Ps 94 – 1 Co 7,32-35 – Mc 1,21-28
Homélie du P. Michel Quesnel
Il est terrible, le verbe « savoir », surtout conjugué à la première personne. Qui dit « Je sais », dans l’évangile de Marc ? – Un esprit impur qui, dans la page d’évangile proposée aujourd’hui, se met à crier en s’adressant à Jésus : « Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. » Evidemment, les démons sont bien informés.
Et à l’autre bout de l’évangile, un homme répondra à deux reprises à des personnes qui l’interrogeaient : « Je ne sais pas, je ne connais pas » (c’est le même verbe, en grec). Cet homme, c’est Pierre, à qui l’on demande s’il fait partie des compagnons de Jésus : « Je ne sais pas… Je ne connais pas cet homme » (Mc 14,68.71). Là, au contraire, il aurait dû avouer qu’il savait et connaissait. Mais il a préféré mentir, pour sauver sa peau.
Et, dans notre monde occidental actuellement touché par une terrible pandémie, il y a plein de gens qui prétendent savoir… Savoir ce qu’il faudrait faire… Alors que personne n’en sait rien et que tout le monde est un peu perdu.
A l’inverse, à la fin de la même page d’évangile qui raconte l’expulsion d’un démon dans la synagogue de Capharnaüm, les spectateurs ne prétendent pas savoir. Ils se laissent étonner et se demandent entre eux : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » L’évangéliste met en valeur leur questionnement, qui est une bonne réaction devant l’exorcisme dont ils ont été témoins.
J’aime cette réflexion faite par le romancier Maurice Blanchot : « La réponse est le poison de la question. » Et je lisais récemment les réflexions d’un homme sage sur les réseaux sociaux : « Celui qui prétend tout connaître oublie qu’il ne connaît qu’un petit bout de la connaissance. »
Il me semble que c’est dans cet esprit que nous pouvons aborder l’ensemble des textes proposés pour la liturgie de ce dimanche.
Dans le livre du Deutéronome, Moïse annonce un prophète comme lui, qui se lèvera plus tard dans l’histoire du peuple juif. Ce prophète ne connaîtra rien par lui-même. Sa bouche ne lui servira qu’à proclamer les paroles que Dieu y placera, et à les proclamer en son nom : « Il dira tout ce que je lui prescrirai », annonce Dieu. Au contraire le prophète qui prononcerait des paroles que Dieu ne lui a pas prescrites, celui-là prétendrait savoir par lui-même, il n’est pas digne d’être prophète, et il est destiné à disparaître.
C’est également une attitude d’humilité qu’adopte Paul lorsqu’il vante aux Corinthiens les vertus du célibat. Il ne prétend pas savoir. Dans sa vie personnelle, il imite simplement Jésus qui avait lui-même choisi de rester célibataire, et il ne dicte pas ce qu’il faudrait faire. Il se contente, pour reprendre les propres termes qu’il utilise pour s’adresser à ses destinataires, de « proposer ce qui est bien, afin que vous soyez attachés au Seigneur sans partage ».
Dans le même chapitre de la même épître, il avait d’ailleurs déclaré : « Il est bon pour l’homme de ne pas toucher la femme. Cependant, étant donné les occasions de débauche, que chacun ait sa femme à lui, et que chacune ait son propre mari » (1 Co 7,1-2). Le célibat est bon, mais il n’est pas obligatoire. Paul ne prétend pas savoir à la place des gens. Que chacun fasse comme il sent les choses, en fonction de sa propre vocation.
Où se trouve le bon savoir, alors ?
Pour répondre à cette question, nous pouvons nous tourner à nouveau vers l’évangile de Marc. Lorsque Jésus participe à l’office synagogal et qu’il lui est proposé de prononcer l’homélie, l’évangéliste écrit : « Il enseignait en homme qui a autorité, et non pas comme les scribes. » Sa façon de parler tranche sur le ronron habituel des professionnels de la religion, qui sont habitués à balancer des vérités premières sans fondement réel… Qui prétendent savoir et imposer, alors que leur savoir est limité.
Tirons-en deux leçons pour nous-mêmes.
En premier lieu, il n’y a pas d’autre vérité que Jésus Christ : « Je suis le chemin, la vérité et la vie », avoue-t-il aux Douze dans l’évangile de Jean (Jn 14,6). Alors, restons en contact permanent avec cette Vérité-là, notamment par une vie d’oraison exigeante et soutenue.
En second lieu, sachons que nous ne savons rien, ou au moins pas grand-chose. Toute attitude arrogante en ce qui concerne le savoir est totalement déplacée : c’est ainsi dans la vie courante, c’est ainsi dans la vie spirituelle, c’est ainsi dans l’Eglise. Si nous donnons des réponses à toutes les questions, nous nous attribuons un pouvoir que nous n’avons pas, et nous risquons de tromper les gens.