6e dimanche du temps ordinaire B – 14 février 2021
Lv 13, 1-2.45-46 – Ps 31 (32) – 1 Co 10, 31 – 11, 1 – Mc 1, 40-45
Homélie du P. Franck Gacogne
Quel écart entre l’Ancien et le Nouveau Testament ! Quel écart concernant l’attitude qui devait être tenu envers un lépreux ! Le livre des Lévites que nous avons entendu instituait l’exclusion de certaines personnes. Cette exclusion était inscrite dans la Loi transmise à Moïse et elle mettait à l’écart des personnes parce qu’atteintes de la lèpre : « il habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp ». Vous aimez le cinéma ? Qui d’entre vous connait le grand péplum américain Ben-Hur ? Vous vous rappelez sans doute de la scène où sa mère et sa sœur atteint de la lèpre après des années de cachot sont condamnées à pire en devant rester reclus dans des grottes qui leur étaient réservées à l’écart du monde des vivants.
La loi de Moïse rejetait ces personnes dans des lieux éloignés, elles étaient mises au ban de la société. Le motif de cette exclusion n’était d’ailleurs pas tant pour des raisons de contagion que pour un motif religieux. Les hébreux étaient très marqués par la distinction entre le pur et l’impur. Cette maladie était considérée comme la conséquence d’un mauvais comportement, la conséquence du péché commis par une personne, voir même par ses parents. On estimait alors que Dieu infligeait son châtiment en marquant cette personne de la lèpre pour qu’elle soit considérée par tous comme « impur ». Interdit de Temple et de synagogue, tout contact avec eux rendait également « impur », au moins pour un temps. Avec leurs « vêtements déchirés » qu’ils devaient porter, symbole de deuil, ils étaient considérés comme des morts-vivants.
Mais plusieurs siècles après, au temps de Jésus, c’est toujours cette même Loi qui est en vigueur. Et avec ce passage de l’évangile de Marc, nous avons en quelque sorte la suite de l’histoire.
Un lépreux vient trouver Jésus et tombe à ses genoux en le suppliant, alors qu’il est censé raser les murs et se tenir à l’écart, il se met par conséquent ouvertement hors la Loi de Moïse. Jésus, lui, au lieu de s’écarter pour en être préservé, se compromet lui aussi, il se met hors la Loi, en considérant cet homme, en étendant la main et en le touchant. Jésus pose un geste invraisemblable, qui pulvérise un tabou social et religieux, qui pulvérise cette fausse idée de châtiment, il touche celui qui est qualifié d’intouchable. Aux yeux des juifs de son temps, Jésus devient alors lui-même impur, il prend sur lui l’impureté, la mort du lépreux. C’est bien sûr intentionnel de la part de Jésus qui prend sur lui le poids de la Loi qui pesait sur les épaules de cet homme pour l’en libérer, pour le rendre à la vie. Par ce contact, ce n’est pas la supposée impureté du lépreux qui se transmet à Jésus, mais c’est la pureté de Jésus qui se transmet au lépreux. En le touchant, il ne se contente pas de le guérir, il lui redonne sa place au milieu des vivants, il le réintègre dans la société et devant Dieu. Plus loin dans l’évangile, Jésus dira à ceux qui l’écoutent que c’est un cœur perverti qui rend l’homme impur, et non pas une maladie ou une infraction au code rituel. Oui, Jésus ose opérer ce renversement.
Une telle société vous semble complètement archaïque et heureusement maintenant dépassée ? En est-on si sûr ? Est-il permis de faire un parallèle avec la situation sanitaire que nous vivons aujourd’hui ? Certes, nul ne dira, hormis peut-être quelques complotistes, que la COVID puni ceux qui ont mal agit. Certes, les personnes atteintes sont prises en charge et bien soignées et non pas mises au rebus. Pourtant, des voix légitimes ce sont faites entendre, des lanceurs d’alertes ont tirés le signal d’alarme quand il leur apparaissait qu’une loi venait leur interdire d’entrer en contact avec leur proche. Lors du premier confinement, des drames ont été vécus en Ehpad ou à l’hôpital quand des hommes et des femmes ont été empêchés de voir, de toucher, d’accompagner un proche parfois mourant… Cette loi-là n’était-elle pas tout aussi archaïque que celles du Lévitique 32 siècles plus tôt ? Aujourd’hui en 2021, en France, il se peut que l’on meurt plus de désespoir et de solitude que du COVID. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : sachons être vigilant et rigoureux dans l’application des règles indispensables qui nous sont demandées, et j’y veille ici dans la paroisse. Mais ces règles – et c’est le cas le plus souvent heureusement – doivent prendre soin des personnes comme des êtres de relation et non pas les voir comme corps indistinctement disposés les uns à côtés des autres, toujours considérées trop prêts, et dont il faudrait en prolonger le souffle quoi qu’il en coûte.
J’évoquais tout-à-l’heure le film Ben-Hur, et pour moi, la scène la plus touchante et la plus puissante, c’est quand Ben-Hur fini par décider de passer outre l’interdiction. Dans un mouvement pascal christique, il descend dans les profondeurs de la mort pour y extraire sa mère et sa sœur que la loi y avait ensevelie afin de les ramener à la vie, quoi qu’il en coûte pour sa propre santé et pour son avenir.
Frères et sœurs, sachons être contagieux du virus de l’amour fraternel et du sens de son prochain dans l’épreuve. Efforçons-nous de répandre ce virus bienfaisant, pour briser les barrières de la peur et du conformisme, pour tendre la main, accompagner et ainsi être témoin et acteur de l’espérance qui nous anime. Amen.