2e dimanche de Pâques B – 11 avril 2021
Ac 4, 32-35 – Ps 117 (118) – 1 Jn 5, 1-6 – Jn 20, 19-31
Homélie du P. Franck Gacogne
J’entends souvent des jeunes mais aussi des adultes me dire : « Oh, vous savez, moi, je suis comme Thomas. Je ne crois que ce que je vois ! ». Très bien, peut-être que vous en faites partis. Non ? Regardons donc ensemble cette réflexion qui trouve son origine dans le passage que nous venons d’entendre. Je pense que ceux qui disent cela veulent dire qu’ils ne croiront en Dieu que lorsqu’ils l’auront vu. Non ? Demandons-nous si c’est le cas de Thomas ? A-t-il vu Dieu ? Non ! Il a vu l’homme Jésus, il voulait même avoir la preuve que c’était bien l’homme Jésus qui était là puisqu’il voulait le toucher, il voulait le palper. Thomas n’a donc pas vu Dieu… comme chacun de nous je pense. Et qu’est-ce que Thomas a cru ? Eh bien il a cru que cet homme qu’il voyait et qu’il connaissait bien, est Dieu puisqu’il s’exclame en le voyant : « Mon Seigneur et mon Dieu ».
L’expression « je ne crois que ce que je vois » est donc fausse, et elle ne correspond pas à l’expérience de Thomas, car Thomas n’a pas cru ce qu’il a vu. Il y a un énorme fossé entre l’homme que Thomas voit en face de lui, et ce qu’il dit de lui : « Mon Seigneur et mon Dieu ». Et pour franchir ce fossé Thomas fait un grand saut, c’est le saut de la foi. Thomas a cru bien au-delà de ce qu’il a vu : il voit les mains de Jésus et son côté, et au lieu de dire « c’est toi Jésus mon ami ! » Non, il dit, c’est toi « mon Seigneur et mon Dieu ». Autrement dit, ce que je vois, et ce que je crois sont nécessairement autres, dans des registres différents. Je n’ai pas besoin de croire ce que je vois puisque je le vois. Eh bien c’est précisément parce que je n’ai pas à croire ce que je vois, que la foi est tout autre chose, c’est une démarche personnelle de ma liberté, quand j’ai envie d’aller plus loin que ce qui m’est donné de voir, quand je veux donner un sens divin à ce que je vois, quand je veux associer Dieu à ma vie quotidienne. La foi, c’est un don de Dieu qui est donné gratuitement à tous : Jésus est ressuscité ! Mais il est sur l’autre rive. Voilà pourquoi il ne s’impose pas, le rejoindre, l’accueillir nécessite une démarche personnelle que je peux choisir en toute liberté, en faisant le grand saut, celui de la confiance. Voilà pourquoi Jésus nous déclare heureux d’être invité à croire sans voir, parce qu’il faut sauter, c’est ainsi que l’on avance dans la foi. C’est comme dans le film que les plus de 40 ans doivent connaître : Indiana Jones et la dernière croisade, vous vous rappelez peut-être, alors qu’il voit le vide, il doit croire que ça va passer et faire le saut de la foi pour espérer rejoindre l’autre rive !
Thomas qui croit bien au-delà de ce qu’il a vu est exactement comme le disciple de dimanche dernier qui voit le linceul dans le tombeau vide et qui croit en la résurrection de celui qui était là. Ce que l’on croit n’est jamais ce que l’on voit. Si c’était le cas, la foi ne serait pas requise, mais d’une certaine façon obligée, voire contrainte. Ce ne serait d’ailleurs plus de la foi, mais un savoir.
Nous ne sommes pas moins bien logés que les premiers apôtres. C’est bien sur leur témoignage que notre foi repose, mais notre expérience de non-vision, de non-contact direct, elle est reconnue par Jésus comme la condition normale de la foi dans l’histoire : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » Le lieu de la foi, ce n’est pas la rétine, c’est le cœur. Alors quand quelqu’un me dit « je suis comme Thomas », j’en suis très heureux, à condition qu’il soit vraiment comme lui, c’est-à-dire heureux de croire ce qu’il ne voit pas.
Entrer dans la foi, c’est se situer personnellement comme nous le faisons chaque dimanche en Eglise quand nous disons le credo en communion avec tous les baptisés. Ainsi, nous accueillons et nous proclamons cette foi dans le Ressuscité comme profonde et vraie parce qu’elle donne du sens à toute notre existence. Mais cette foi dans le Ressuscité ne sera jamais ni prouvée ni démontrée par personne, ce qui est une chose excellente sans quoi nous ne serions plus libres de croire. Heureux donc ! nous déclare Jésus, car croire en lui ne peut être qu’un élan intérieur, celui de notre désir, pour notre plus grand bonheur, car c’est Lui, le Ressuscité qui œuvre pour la transformation et le salut du monde.
Dans ces conditions, croire est une démarche difficile et exigeante, il faut bien le reconnaître, surtout parce qu’alors il nous faut aller contre notre penchant naturel qui a soif de sensationnel, de surnaturel surtout en temps de crise, et qui nous fait souvent confondre la foi et le merveilleux. Il suffit que soient annoncées quelques apparitions dans le monde pour que des foules se précipitent, persuadées que cela pourra soutenir leur foi. « Heureux ceux qui croient sans avoir vu », ce qui faisait dire non sans humour à un théologien bien connu à propos des miracles qui pourraient se produire aujourd’hui, que l’on ne croit pas forcément grâce à eux, mais parfois plutôt malgré eux.
Dieu ne s’impose jamais, il se propose. C’est la façon d’être du Christ, mais c’est aussi la manière d’être, l’attitude que sont invités à prendre tous ses disciples. Ce doit être l’attitude de toute l’Eglise. Notre rôle au nom de notre baptême est de ne jamais imposer Dieu révélé en Jésus-Christ, en revanche, notre rôle est de toujours rechercher les lieux, les occasions et les façons les plus appropriées de pouvoir le proposer et en vivre aujourd’hui, car sa Parole nous envoie en mission. Que le ressuscité vienne étancher notre soif de lui, que nous puissions en vivre et en témoigner. Amen.