Dimanche de la Sainte Trinité B – 30 mai 2021
Dt 4, 32-34.39-40 – Ps 32 (33) – Rm 8, 14-17 – Mt 28, 16-20
Homélie du P. Franck Gacogne donnée au Temple du Change à l’occasion du 3ème échange de chaire de l’année.
Tout d’abord, je voulais vous dire que je me réjouis que ces trois échanges de chaire aient pu se vivre sur notre secteur cette année. En complément du groupe biblique œcuménique avec Osée, je crois que ces invitations réciproques autour et grâce à la Parole de Dieu sont des signes forts de la fraternité chrétienne que nous voulons entretenir et amplifier. Nous cherchons ainsi humblement mais bien concrètement à répondre au désir et à la prière du Christ lui-même : « qu’ils soient UN » et la raison qu’il en donne n’est pas banale : « afin que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 20-21). Prions donc ardemment pour que le désir de Jésus soit aussi celui de tous les baptisés, de chacune de nos communautés, afin que le Christ soit crédible, afin que son Eglise ne soit pas un obstacle à la volonté de Dieu ! Ce serait un comble !
Dans l’extrait de la lettre aux romains que nous avons entendu Paul nous décrit la vie selon l’Esprit de Dieu. Paul insiste pour expliquer que l’Esprit reçu ne fait pas de nous des esclaves mais fait de nous ses fils et ses filles, ses héritiers : « vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclave et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs » (Rm 8, 15). Cette affirmation puissante trouve je crois une belle illustration dans la parabole bien connue du père avec ses deux fils en Lc 15. Le cadet qui a tout plaqué et qui pense ne plus mériter ce statut de fils. Et son frère aîné qui tout au contraire se croit un fils modèle alors qu’il est incapable d’appeler son père « abba », et le considère comme un patron. Eh bien le père refuse ces deux attitudes qu’il ne leur a jamais demandé pour donner une dignité de Fils, aussi bien à celui qui voulait se faire esclave en revenant tout penaud, qu’à celui qui jouait le fier dans une fausse soumission. Tous deux sont invités au banquet des réjouissances. En fin de compte, vivre selon l’Esprit de Dieu c’est une affaire de consentement. Je crois que tout l’enjeu de la vie chrétienne est de consentir à devenir des filles et des fils adoptifs, d’accepter véritablement cette dignité, cette invitation, cette proximité que Dieu souhaite et offre à chacun de nous. Il sort à notre rencontre et nous prie de nous mettre ensemble à sa table.
Souvent, quand nous avons peur de quelqu’un, comme ces fils avec leur père, quand dans notre vie professionnelle on appréhende une rencontre, c’est parce qu’on ne connaît pas, ou pas assez la personne, ou bien c’est parce qu’on se fait de fausses idées sur elle. On ne sait pas ce qu’elle est, ce qu’elle pense, ce qu’elle va dire, le comportement qu’elle va avoir avec nous. La peur naît de l’inconnu. Mais voilà que Dieu a tout fait pour ne plus être inconnu, il a tout fait pour se dévoiler, pour se révéler afin qu’il ne soit plus jamais possible d’avoir peur de lui. Dans l’ancien testament, Dieu portait un nom qu’on ne pouvait pas prononcer tant il fallait le respecter : on le mettait à une distance dite « respectueuse ». Ce n’était peut-être pas tant Dieu qui était distant, que l’homme qui l’avait mis à distance. Des prophètes comme Isaïe avaient bien parlé de Dieu comme d’un Père pour son peuple. : « C’est toi, Seigneur qui est notre Père » (Is 63, 16). Mais la révélation pleine et entière de ce Dieu qui est Père n’était pas vraiment acquise. C’était le « Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » un Dieu fort mais lointain dans le temps et dans l’espace, dont on espérait et dont on attendait au temps de Jésus la manifestation puissante.
Eh bien, c’est comme si Dieu en avait eu assez d’être adoré de loin, assez de ne pas être compris comme partie prenante de l’humanité créé, comme s’il voulait enfin lui révéler son vrai visage. Jésus va accomplir entièrement cette promesse de révélation. Nous connaissons ces paroles phénoménales de l’évangile de Jean : « Tout ce que j’ai appris de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15, 15) ou encore « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). C’est pourquoi, au début l’évangile de Matthieu en écho à Isaïe (Is 7, 14) Jésus porte aussi le nom d’Emmanuel qui veut dire « Dieu-avec-nous » (Mt 1, 23). A la fin de l’évangile que nous venons d’entendre, alors qu’il n’a cessé en effet d’être avec ses disciples jour après jour, il leur promet de continuer encore d’être avec eux « tous les jours jusqu’à la fin des temps. » (Mt 28, 20), et c’est là l’œuvre de l’Esprit Saint. L’attitude de Jésus envers son Père n’est pas distante ou craintive comme s’il n’osait l’appeler. Au contraire, il s’adresse à lui en l’appelant « Abba » (Mc 14, 36), c’est-à-dire « papa ». Est-ce une familiarité qui dénigre et abaisse Dieu ? Non, c’est au contraire une attitude filiale authentique, et grâce à Jésus, elle déclenche pour tout homme, l’invitation, l’exhortation par l’Esprit à nous adresser à lui de la même manière, comme des fils en lui disant « papa » ! Il suffit de le consentir.
Nous voilà le dimanche après la Pentecôte. Dans l’Eglise catholique, ce dimanche est choisi pour marquer plus particulièrement le mystère de la Sainte Trinité, je ne sais pas si c’est aussi une particularité de ce dimanche dans les Eglises protestantes. En tout cas, protestants, orthodoxes ou catholiques, les uns comme les autres, nous affirmons je crois que la Trinité n’est pas d’abord un dogme, une idée ou un concept apparu tardivement dans la vie de l’Eglise, mais que la Sainte Trinité, c’est d’abord l’expérience réelle par laquelle Dieu a voulu lui-même se révéler. Par le Père le Fils et l’Esprit-Saint, Dieu se manifeste dans toute l’histoire de l’Alliance comme échange, circulation d’amour au bénéfice de l’homme, un perpétuel mouvement dans lequel le Seigneur nous plonge par le baptême pour nous en abreuver, puis pour nous envoyer, nous rendant capable de désaltérer de sa vie, de sa Parole et en être témoin. Par le don de l’Esprit, il nous est donné de participer à la vie divine. Ecoutons Paul dans la 2ème lettre aux Corinthiens : « le Seigneur, c’est l’Esprit, et là où l’Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté. Et nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande, par l’action du Seigneur qui est Esprit. » (2 Co 3, 17-18). Paul nous dit que la liberté est constitutive de la présence de l’Esprit-Saint. La liberté est la conséquence de ce don. Dieu ne nous rend pas captif d’un donnant-donnant, mais c’est un don qui rend libre. Il libère en nous la potentialité d’inventer la manière singulière dont chacun de nous va pouvoir en être témoin. Quelle chance, et quelle responsabilité !
Nous sommes encore ébouriffés par le souffle de la Pentecôte, mais le reste de l’année il arrive parfois que l’on perde de vue l’Esprit-Saint, ou même qu’il soit le grand oublié de nos prières. Alors pour terminer ce matin j’aimerais lui adresser avec vous cette prière qui ne vous est sans doute pas inconnue :
« Sans toi, Esprit Saint
la Bible ne serait qu’une encyclopédie,
les Evangiles des mémoires d’outre-tombe,
Jésus un héros à recopier,
l’eucharistie, la Cène, un banquet d’anciens combattants,
et l’Eglise une multinationale humanitaire.
Mais par toi, grâce à toi,
Esprit Saint,
Dieu nous y abreuve de sa vie.
Amen ! »