28e dimanche du temps ordinaire B – 10 octobre 2021
Sg 7, 7-11 – Ps 89 (90) – He 4, 12-13 – Mc 10, 17-30
Homélie du P. Franck Gacogne
Depuis que je suis prêtre, j’ai toujours commenté la Parole de Dieu dans l’homélie, sauf que tout juste 5 jours après la remise aux évêques du rapport que l’Église de France elle-même avait demandé à Mr Jean-Marc Sauvé, je ne vois pas comment je pourrais faire l’impasse sur cette actualité tant elle est douloureuse et scandaleuse. Nous avons encaissé le choc mardi dernier ou dans les jours qui ont suivis à travers ce que nous avons écouté, vu ou lu dans les médias. Cela a provoqué en nous un sentiment profond de dégoût, de colère, de trahison, de sidération, que sais-je… jusqu’à la nausée.
Toute la question est de savoir si nous allons lentement sédimenter en nous ce sentiment jusqu’à progressivement l’oublier ; ou bien si nous avons l’intention de rester mobilisé pour que les circonstances et les structures de nos diocèses par lesquels de tels crimes ou délits ont pu être commis et couverts, puissent réellement changer… Dans son rapport, la Commission Indépendante sur les Abus sexuels dans l’Église (CIASE) a rédigé 45 recommandations aux évêques et aux religieux, je vous invite très fortement à en prendre connaissance. Quelques-unes sont du ressort du Vatican, mais la plupart le sont de nos évêques. Pourtant, ces recommandations ne sont pas contraignantes pour eux : si les évêques ne décident rien ou seulement quelques mesurettes pour faire illusion, le travail remarquable de la CIASE n’aura servi à rien et des attitudes cléricales de surplomb – causes des abus – pourront perdurer.
L’homme riche que rencontre Jésus dans l’évangile de ce jour semble faire de son mieux, voilà pourquoi Jésus l’admire. Mais il n’a pas le courage d’aller au bout des choses pour obtenir ce qu’il cherche et qu’il espère pourtant de tout son cœur : « avoir la vie éternelle en héritage ». Il serait sans doute déplacé de comparer l’Église à cet homme que Jésus rencontre, en particulier parce que l’Église n’est pas une seule personne mais un peuple, le peuple de Dieu. Votre baptême n’est pas moins digne que celui d’un prêtre ou d’un évêque, il est absolument identique. Laïcs, baptisés, votre place dans l’Église est première parce que vous représentez de très loin l’immense majorité des catholiques, et à ce titre, vous avez les moyens – et si j’étais à votre place, je dirais le devoir – de faire en sorte que ces recommandations soient mises en œuvre en vous mobilisant pour que les évêques cessent de parler et se mettent à agir.
J’aimerais terminer en rapportant simplement un témoignage de Hans Küng, il s’agit d’un prêtre théologien suisse décédé cette année et qui toute sa vie s’est indigné et a travaillé à la réforme de l’Église pour qu’elle soit plus fidèle à l’Évangile qu’elle annonce. Voici ses propos :
« Autant je comprends les motifs d’un chacun qui peuvent l’amener à quitter l’Église et le ministère ecclésiastique pour se consacrer à d’autres tâches, autant je n’ai jamais pu me résoudre à faire ce pas pour mon propre compte. J’ai toujours essayé, sans me lasser, d’adhérer à la communauté des croyants, en dépit de toutes ses faiblesses et de toutes ses défaillances. J’ai toujours eu le sentiment que l’abandon de la barque de la communauté ecclésiastique – un geste d’honnêteté et de protestation pour beaucoup – serait pour moi, personnellement, un geste de lâcheté et de capitulation. Devrais-je abandonner dans la tempête la barque où je suis monté en des temps meilleurs, laisser aux autres, avec qui j’ai vogué jusqu’ici, le soin de résister au vent, d’écoper la barque, voire de lutter pour la survie spirituelle ? Non, quelles que soient mes déceptions, j’ai trop reçu dans la communauté des croyants dans laquelle j’ai grandi pour pouvoir l’abandonner ainsi, sans plus. Je me suis trop engagé moi-même en faveur du changement et du renouveau pour avoir le droit, maintenant, de décevoir ceux qui se sont engagés avec moi. Je ne voudrais pas procurer cette joie aux ennemis du renouveau, je ne voudrais pas causer cette peine aux amis. Je n’ai aucune sympathie pour un christianisme élitiste, qui se prétend meilleur que le grand nombre, et je ne cultive pas les utopies ecclésiastiques d’une communauté idéale de personnes qui partagent exactement les mêmes idées. En dépit de mes nombreuses expériences douloureuses de la part de mon Église, je crois qu’une loyauté critique peut avoir ses chances de porter ses fruits, qu’une résistance n’est pas dépourvue de signification, qu’un renouveau est possible et qu’un nouveau tournant positif n’est pas exclu dans l’histoire de l’Église. »
Hans KÜNG (1928-2021) dans « Credo » (1996), Éditions du Seuil