Fête de la Toussaint B – 1er novembre 2021
Ap 7, 2-4.9-14 – Ps 23 (24) – 1 Jn 3, 1-3 – Mt 5, 1-12a
Homélie du P. Franck Gacogne
Toussaint, tous saints ? Journée découverte, entrée libre. Intrigué mais attiré par cette banderole à l’extérieur, imaginons que nous soyons entrés dans une très grande pièce rectangulaire, une salle unique. Dès le porche d’entrée franchi, notre œil est immédiatement attiré par un grand vitrail que je vous invite à imaginer en face dans le mur du fond. Un vitrail multicolore et resplendissant presque éblouissant. Il représente un beau visage souriant : c’est celui du Christ à travers lequel les rayons du soleil viennent illuminer l’ensemble de la pièce de multiples couleurs. La lumière de Dieu, l’amour de Dieu passe par le Christ, à travers le Christ et se réfracte dans la pièce sur les autres murs de neuf couleurs : neuf béatitudes qui sont autant de façon de manifester l’amour qui a sa source en Dieu. Les béatitudes, c’est le portrait de Jésus, et puis comme dit Pierre, Jésus, c’est « le Saint, le saint de Dieu », mais Jésus Christ, le seul saint ne stoppe pas la lumière du Père. Jésus la fait traverser, il la diffuse à l’intérieur de la pièce par des couleurs chaudes, des couleurs feu qui sont celles de l’Esprit Saint donné.
Examinons le reste de la pièce. Le mur de gauche, c’est celui des officiels : les saints canonisés, reconnus, dûment répertoriés. Il y a là quelques peintures, des statues, des vitraux, qui sont éclairés par le rouge de ceux qui sont persécutés pour la justice, éclairés par le vert de ceux qui sont artisans de paix. Nous reconnaissons facilement un bon nombre d’entre eux : il y a Pierre, Paul, Thérèse de Lisieux, François d’Assises, Jean, très bientôt Pauline Jaricot et tant d’autres… Beaucoup de visages dont je ne sais pas toujours dire le nom l’époque ou l’histoire, mais dont il se trouve que nous portons les prénoms. Leur vie pétrit de l’Evangile est souvent passionnante, nous l’avons parfois découverte au détour d’une BD, et parce que ces témoins nous semblent proche, il nous arrive de leur confier nos prières pour qu’ils les portent auprès de Dieu.
Le mur de droite est plus difficile à déchiffrer. Il est nécessaire de se rapprocher pour y lire des noms innombrables, quelques photos aux visages forts sympathiques mais tout à fait inconnus. Un mur complètement hétéroclite où prennent place des hommes, des femmes, des enfants qui ont vécus l’Evangile au quotidien et que Dieu à accueillis dans sa maison. Voici d’innombrable mères de famille anonymes au dévouement inlassable, d’innombrable personnes dont toute la vie a consisté à servir les autres sans jamais penser ni chercher à en tirer bénéfice. C’est par exemple cet entrepreneur qui a créé des emplois en prenant des risques, ces infirmières qui n’ont pas comptée le temps aux côtés des malades du Covid, ces éducateurs qui ne désespèrent jamais des jeunes qu’ils accompagnent. Ou bien encore l’incroyant au cœur droit qui a vécu au jour le jour l’Evangile qu’il n’avait jamais lu, foule immense bien plus nombreuse que les 144000 élus de l’Apocalypse. Le pape les appelle les saints « de la porte d’à côté ». Parmi eux nous reconnaissons quelques visages : des parents, une grand-mère, des amis, un voisin, un collègue… Des hommes et des femmes qui ont vécu tout simplement mais radicalement l’une ou l’autre des Béatitudes : Leurs noms sont éclairés par le bleu de ceux qui ont faim et soif de la justice, par le mauve de ceux qui sont miséricordieux ou ceux qui sont doux. La Toussaint, c’est leur fête à eux, ces anonymes, qui ne seront jamais dans les vitraux, mais toujours gravés dans nos cœurs.
Il y a enfin le 4ème mur, celui de l’entrée. Il est nécessaire de se retourner, et de se rapprocher de l’entrée, du seuil pour le décrypter. Ce mur face au vitrail du Christ est illuminé de blanc, et de jaune. Ce sont les couleurs de ceux qui sont pauvres de cœurs, ceux qui pleurent, de ceux qui ont un cœur pur. Après les officiels et les anonymes, ce sont maintenant les « oubliés de la sainteté ». Leur profil est complètement inattendu, ils n’ont d’ailleurs souvent même pas de nom. Les oubliés de la sainteté, ce sont ceux qui ont fait naufrage, les laissés-pour-compte. Ceux qui traînent une hérédité lourde, une éducation ratée, des enfants blessés dans leur chair et dans leur cœur. On les rencontre au 115, dans les prisons, parfois sur les trottoirs de la prostitution ou de la misère. Ce sont les accidentés de la vie. Peuvent-ils donc eux aussi devenir saints ? Sans doute puisqu’ils sont là et que Jésus est venu « sauver ce qui étaient perdus ». Je crois que la lumière que Dieu mets dans leur cœur les éblouis eux aussi, qu’elle les aide à cicatriser leurs plaies. Certains rétorqueront : « mais il y a un décalage entre leur vie et le projet de Dieu ! » Peut-être, mais c’est Dieu qui vient combler ce déficit, cette béance. Quelle audace de croire cela et pourtant nous ne rêvons pas : les « oubliés de la sainteté » ne le sont que nous, parce que Jésus, lui, les connaît bien. Il les rencontre, il les relève, il les fait entrer lui-même dans la salle. Vous connaissez leurs noms : c’est Zachée, Marie-Madeleine, la Samaritaine, Matthieu, la femme adultère, le bon larron…
Voilà, nous tous, les vivants, nous avons fait le tour de la salle dans laquelle nous avons été invité à entrer. Rappelez-vous la banderole à l’extérieur : Toussaint, tous saints ? Journée découverte, entrée libre ! Le monde est invité à entrer et à se laisser illuminer par le Christ et ses béatitudes. Mais dans son exhortation sur la sainteté, le pape François nous dit fermement que la sainteté, c’est sortir pour « laisser le don reçu de Dieu se traduire dans le don de nous-mêmes aux frères » (GE 104), la sainteté n’a pas d’autre chemin que « l’amour, la charité pleinement vécue » (GE 21) Et si je vous disais que tous ceux qui sont là dans la salle ou sur les murs c’est cela que l’on appelle « la communion des saints » ! Et si cette salle s’appelait le Royaume de Dieu, alors tout s’éclaire. Bonne fête à tous !