Mercredi des Cendres C – 2 mars 2022
Ecclésiaste 1-3 – Ps 50 – Mt 6,1-6.16-18
Homélie du P. Franck Gacogne
Nous allons entendre les trois premiers chapitres du livre de l’Ecclésiaste ou de Qohéleth. Attribué à Salomon, fils de David, cet écrit biblique inédit est en fait beaucoup plus tardif avec une rédaction qui le situerait plutôt deux ou trois siècles avant Jésus-Christ.
Cette journée a été consacrée à la prière pour la paix, et au regard de ce qui se passe en Ukraine, je trouve que les paroles de l’Ecclésiaste résonnent ce soir puissamment dans cette église. Mes propos ce soir dans cette homélie seront très décousus et en vrac comme le sont ceux de ce livre déconcertant dont nous avons entendu les 3 premiers chapitres. Je vous propose par quelques petites touches d’essayer d’assimiler quelques-unes de ces paroles en ayant pour toile de fond d’une part la situation en Ukraine et d’autre part cette entrée en Carême.
Je crois que ce texte atypique n’a qu’une visée, c’est de donner à penser… Dans le premier chapitre, nous avons entendu que les générations passent et se succèdent (1, 4), que le vent ne cesse de tournoyer (1, 6), que le soleil ne cesse de se lever et de se coucher (1, 5)… Qohéleth, blasé, expose ses pensées, ses réflexions. Mais la question clé qu’il ne pose pas, est celle-ci : « sur quel monde le soleil et le vent se lèvent-ils ? » Car si le texte affirme qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil (1, 9), on pourrait même amplifier le cynisme est se demandant si ce qui advient de nouveau ne serait pas pire que ce qui précédait ? L’Ecclésiaste affirme que ce n’est en effet que grâce à l’accroissement de la Sagesse par laquelle on grandit que l’on peut mesurer la sottise et la folie (1, 16-17).
Qu’est-ce que la vanité dans la bouche de l’auteur (1, 2) ? Difficile à dire… Mot à mot, il faudrait traduire l’hébreu par le mot « buée » ! Tout est buée ! Ephémère, furtif, tout est mirage ! L’auteur nous transporte dans ses pensées, dans un mélange de mélancolie et de dépit face au temps qui passe ? Il pose le constat amer d’une faillite de la Sagesse, une insatisfaction permanente devant de toute chose inconsistante et qui ne lui suffit jamais (1, 14). Le monde est buée, et pourtant, en face, il est béant, il attends son Sauveur. L’Ecclésiaste affirme en effet que seul le Dieu vivant peut donner du sens au monde et à ce qui lui arrive (3, 14).
Par cette entrée en carême, nous entendons un appel à se déposséder et se retirer dans le secret. Au chapitre 2, l’Ecclésiaste, quant à lui, a tenté l’inverse : il a tout désiré dans l’accumulation et l’abondance pour jouir de tous les biens (2, 3). Mais tout cela n’était que folie… La sagesse le lui a appris (2, 13). Le sage et le fou ont même sort, à quoi bon s’efforcer à être l’un et pas l’autre (2, 14-15) ? Au dernier jour, Dieu ne les choisit-il pas tous : les sages, les faibles, les fous (2, 16) ? Oui, mais si Dieu donne à l’homme qui lui plait : savoir, sagesse et joie, il laisse en revanche le fou acquérir lui-même ce qui lui convient (2, 26).
Au chapitre 3, l’Ecclésiaste nous dit que l’homme est incapable de vivre et d’assumer réellement le temps que Dieu lui donne (3, 11). Et à défaut de savoir bien utiliser ce temps, il prend du bon temps (3, 12), jusqu’à qualifier ce qu’il choisit lui-même de don de Dieu (3, 13) ! Aujourd’hui, un temps nous est donné : le Carême, nous ne l’avons pas choisi, en revanche il nous est laissé libre de choisir qu’en faire. Aurons-nous la sagesse de le vivre comme un don reçu et d’en faire un don offert en nous donnant nous-mêmes ? Car si l’Ecclésiaste ne veut pas distinguer les hommes des bêtes sous prétexte qu’ils partagent le même sort (3, 19), il y a un temps entre la poussière initiale et la poussière finale (3, 20). Ici et maintenant, la vie, l’initiative et le choix nous sont donnés. Il nous revient de les saisir et de les réaliser pour devenir des fils d’Adam, des justes (3, 17) à la manière du Christ. Alors ce carême sera un temps de conversion pour croire et vivre de l’Evangile. Amen.