27e dimanche du temps ordinaire C – 2 octobre 2022
Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4 – Ps 94 (95) – 2 Tm 1, 6-8.13-14 – Lc 17, 5-10
Homélie du P. Franck Gacogne
Dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus s’adresse aux Apôtres. Ces hommes viennent d’entendre dans le chapitre qui précède de fortes paroles concernant : l’amour fraternel (avec la difficile conversion du fils aîné de la parabole aux deux fils), des paroles sur la nécessité d’être intelligent au service du Royaume (avec la parabole du gérant filou mais astucieux). Ils ont encore entendu la nécessaire méfiance à propos de l’Argent trompeur (avec la parabole du riche et de Lazare) ; la fatalité des conflits ; L’invitation à pardonner à son frère, jusque sept fois de suite si nécessaire, etc… Cela fait quand même beaucoup d’exigences, beaucoup de recommandations. La coupe est pleine ! Il y a de quoi dérouter ces braves pêcheurs galiléens qui ne s’attendaient pas à un tel chamboulement dans leur vie, à de telles exigences. Suivre Jésus n’est pas de tout repos. Les Apôtres viennent donc trouver Jésus avec cette demande pleine de bon sens et d’humilité : « Augmente en nous la foi ».
Et voilà que Jésus semble poursuivre avec des paroles encore plus difficiles : il dit à ces Apôtres qui ont pourtant tout quitté pour le suivre, que leur foi est si faible qu’elle n’est pas plus grosse que la plus petite des graines. Et quand nous nous efforçons au nom de notre baptême d’être les serviteurs des hommes, et les serviteurs de Dieu, voilà que Jésus nous demande de ne rien réclamer, de nous considérer comme de simples serviteurs. Admettez que tout cela est quand même un peu dur à encaisser, pour eux comme pour nous !
Afin d’éviter les contresens essayons de décrypter un peu ce que Jésus veut dire à ses disciples et ce qu’il veut nous dire à nous. Il y a deux points abordés par Jésus : la foi, et le service. La foi tout d’abord. Augmenter sa foi, ce n’est pas devenir un grand théologien, ce n’est pas accumuler un savoir sur Dieu, sur l’Eglise. Ce n’est pas d’abord se plonger dans des livres savants pour engranger des connaissances, même si je pense qu’il est absolument essentiel de pouvoir mettre des mots sur sa foi, de pouvoir entrer dans une intelligence de la foi et témoigner qu’il est raisonnable de croire. Toutefois, il semble qu’augmenter sa foi ce soit au contraire se déposséder de ses certitudes de ses propres vérités toutes faites et toutes construites pour entrer dans la Vérité qu’est le Christ. Augmenter sa foi, c’est se laisser pénétrer, se laisser envahir et toucher intérieurement par la lumière du Christ, par sa Parole. Et pour se laisser remplir par cette force, celle de l’Esprit Saint, il est nécessaire d’abord d’être ouvert, d’être en creux, en attente, en désir afin d’exprimer sa soif de lui. La foi n’est ni palpable ni quantifiable, mais nous pouvons avoir le désir de la faire croître, pour qu’elle vienne animer et donner sens à toute notre existence. Vivre avec et pour Dieu est une source inépuisable de joie, les Apôtres l’ont bien compris et c’est sans doute pour cela qu’ils demandent à Jésus que leur foi grandisse. Voilà une belle demande que nous pouvons, à la suite des apôtres, exprimer dans notre prière.
L’autre point à éclaircir, c’est celui du service. Voici ce que nous avons lu : « Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira à son retour des champs : ‘Viens vite prendre place à table’ ? Ne lui dira-t-il pas plutôt : ‘Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras à ton tour’ ?» Est-ce que l’on s’est demandé si au lieu d’humilier les apôtres par cette réponse, Jésus ne chercherait pas plutôt à les honorer ? Comment se fait-il que le service soit si peu considéré dans notre société ? N’est-ce pas un honneur d’accomplir comme Jésus nous a dit de le faire ce que lui-même a fait ? Le premier, au lieu de se grandir, s’est diminué aux pieds de ses disciples, se faisant esclave pour les servir. C’est Dieu qui est leurs pieds !
Nous parlons de « service à la personne », et derrière ces métiers, voyons-nous le tact, tout le soin offert pour que l’homme atteint par l’âge ou la maladie soit relevé dans sa dignité, je pense en particulier aux soins à domicile, ou dans les unités de soins palliatifs. Sans tambours ni trompettes, tant de personnes accomplissent bien souvent ces gestes dans l’humilité et le secret. Oui, vraiment, Dieu est à l’œuvre en cet âge. Dans cet évangile, Jésus nous demande de nous considérer comme de « simples » serviteurs. Ce n’est pas tout à fait juste : littéralement le mot grec « achreios » veut dire serviteurs « inutiles » ou « sans profit ». Mais quelle chance ! Bienheureuse inutilité : car elle nous dit que Dieu nous fait exister sans raison, c’est-à-dire gratuitement, par amour. Si nous étions « utiles » au sens d’utilitaire, Dieu ne nous créerait pas par amour, mais par intérêt. Nous voici donc serviteurs inutiles et par conséquent revêtus de la liberté du Christ pour manifester à sa manière l’amour de Dieu. Amen.