1er dimanche de Carême A – 26 février 2023
Gn 2, 7-9 ; 3, 1-7a – Ps 50 (51) – Rm 5, 12-19 – Mt 4, 1-11
Homélie du P. Franck Gacogne
Les textes de ce premier dimanche de Carême sont étranges et peut-être même déroutant, et pourtant je crois qu’ils peuvent nous aider à entrer dans cette période qui commence.
Il y a le premier récit, celui de la tentation de l’homme et de la femme, l’arbre, le fruit défendu, le serpent, la punition… Nous revoyons toutes ces images reproduites à toutes époques par tant d’artistes. Impossible d’y échapper quand on visite une cathédrale ou un musée des beaux-arts. Que pouvons-nous donc en faire ? Quel catéchiste ne s’est jamais trouvé embarrassé devant ce récit, entre la conviction que ce texte est fondamental, car riche de sens, mais ne sachant vraiment pas comment communiquer la vérité symbolique qui s’en dégage.
Commençons par sortir des clichés et des erreurs de lecture : D’abord, Adam et Eve ne désignent pas des individus, mais ils représentent toute l’humanité. Adam traduit par « l’homme » dans le texte représente tout le genre humain, littéralement « le terreux, celui qui est tiré de la poussière », la femme, appelée Eve signifie « la vivante ». Soyons donc clair, il n’existe pas de Monsieur Adam ou de Madame Eve ! D’autre part, ce texte n’est évidemment pas un récit historique qui raconterait un événement qui s’est réellement passé. Alors… à quoi sert-il me direz-vous ? Eh bien c’est une parabole qui cherche à évoquer la nature des relations entre Dieu et l’humanité et elle est précieuse d’enseignements. Je relève par exemple dans cette description que Dieu est présenté comme intimement associé à la vie de l’homme, c’est l’image du souffle qui est utilisé, Dieu est comme sa respiration. Et pourtant, il ne met pas la main sur lui, l’humanité est créée libre de ses mouvements et de ses choix, y compris de faire ceux qui ne lui seraient pas profitables. En fin de compte, ce récit de la Genèse décrit sous la forme d’un mythe une vérité profonde à savoir : que tout homme se préfère à Dieu et se passe de Dieu. L’auteur de la Genèse décrit l’humanité qui veut se passer de Dieu, il décrit notre histoire à chacun.
Regardons maintenant le récit de la tentation de Jésus au désert, parce que Jésus lui-même n’est pas exempté ! Si le livre de la Genèse parlait d’un serpent, l’évangile parle du diable, ou du tentateur. En fait, son vrai nom dans le texte grec, c’est « diabolos » qui veut dire le « diviseur ». Le diviseur c’est-à-dire à la fois celui qui sépare ; et en maths dans une opération, au contraire de multiplier, le diviseur, c’est celui qui réduit. Voilà donc le rôle du démon dans l’évangile envers Jésus : il veut à la fois le séparer de l’Esprit Saint dont il est rempli et qui l’accompagne au désert, pour ensuite réduire Jésus sous sa coupe. Eh bien c’est à cela que Jésus résiste et qu’il dit « non ».
Reconnaissons que l’ancienne traduction du Notre Père prêtait à confusion, car nous demandions à Dieu, au Père : « ne nous soumets pas à la tentation » ! Mais on le voit bien dans l’évangile ce n’est pas Dieu qui soumet Jésus à la tentation, mais c’est le diable, le diviseur. En disant maintenant : « ne nous laisse pas entrer en tentation », c’est plus clair : nous demandons à Jésus d’y résister comme lui-même a su le faire.
Pourtant, les trois tentations auxquels Jésus est confronté sont bien attirantes, bien séduisantes. Elles se présentent sous l’aspect de la facilité, de l’immédiateté, de la satisfaction personnelle.
La première tentation lui propose de tout avoir sous la main, de posséder, de ne manquer de rien ; mais Jésus répond qu’une vie heureuse, ce n’est pas la somme de ce que l’on possède, ce n’est pas de chercher à accumuler. Une vie heureuse, c’est celle qui nous fait désirer ce qui ne se possède pas, ce qu’on ne peut pas s’approprier, mais qui pourtant nourri, équilibre et donne du sens : je veux parler de la relation à Dieu, et de la relation à l’autre, de la foi.
La deuxième tentation concerne le paraître, la possibilité de parader et d’en mettre plein la vue. Et Jésus répond que Dieu n’est pas dans l’esbroufe, qu’il ne cherche pas à épater la galerie.
La troisième tentation à laquelle Jésus résiste, c’est celle du pouvoir, le vertige de dominer, nous en avons une triste illustration depuis maintenant un an. Et Jésus répond qu’au lieu de vouloir se situer au-dessus, il veut au contraire se mettre sous le regard de Dieu, car ce n’est que devant lui qu’il se prosterne.
L’avoir, le paraître et le pouvoir, je suis bien certain au moment de préparer son mariage, il y a des choix cruciaux à faire qui touchent directement ces domaines. Les choix que nous faisons disent quelque chose du sens de l’engagement que nous voulons vivre et donner à voir.
Parfois dans la préparation au sacrement du baptême ou du mariage on entend des personnes parler de protection. Mais protégé de quoi ? L’Esprit de Dieu qui accompagne Jésus au désert ne le protège pas de l’épreuve, on le voit bien. D’ailleurs être éprouvé et tenté n’est pas un péché ; Jésus l’a été dans toutes ses formes nous dit l’évangile. En revanche, cet évangile nous apprend que lorsque nous désirons associer le Christ à notre vie et à nos engagements, par exemple en demandant un sacrement, alors il se tient prêt à nous fortifier, comme l’Esprit-Saint pour Jésus, il se tient à nos côtés pour nous aider à poser des choix qui tout à la fois nous rendront libre et nous feront grandir en humanité et dans la foi. Amen.