20e dimanche du temps ordinaire A – 20 août 2023
Is 56, 1.6-7 – Ps 66 (67) – Rm 11, 13-15.29-32 – Mt 15, 21-28
Homélie du P. Franck Gacogne
La foi n’a pas de frontière. Telle est la révolution explicitée par Paul et dont Jésus fait l’expérience dans sa rencontre avec la Cananéenne.
Le temps de Jésus est très fortement marqué par des cloisonnements souvent infranchissables, qu’ils découlent de la Loi dans la torah, de la morale, des usages et des conventions : distinctions entre le pur et l’impur, entre les juifs et les païens, les justes et les pécheurs, les esclaves et les hommes libres etc… Ces qualificatifs étiquetaient et casaient les personnes dans une condition établie, d’une manière durable et souvent simpliste en bonnes ou mauvaises. Il va sans dire que les promoteurs de ce langage étaient toujours du bon côté. On peut se demander s’il en est autrement aujourd’hui. Certes, les catégories ne sont plus les mêmes, mais que de divisions, d’exclusions ou de démarcations explicitement posées dans la vie sociale, politique ou même ecclésiale !
Dans un tel contexte les premiers chrétiens ont en effet vécu une véritable révolution, car voilà que leur foi en Jésus-Christ, sans effacer les différences les invitent à les dépasser pour vivre dans l’unité. Un défi auquel Paul à consacré sa vie, convaincu que Jésus en avait indiqué le chemin.
Regardons alors ce récit de la rencontre avec cette Cananéenne, qualifiée dans l’évangile de Marc de Syro-phénicienne comme pour mieux appuyer et indiquer sont origine étrangère et païenne, donc infréquentable pour un juif. Une rencontre qui n’en est d’ailleurs pas tout à fait une puisqu’au départ Jésus comme ses disciples semblent vouloir passer leur chemin sans considérer ses cris. Les disciples ont vis-à-vis d’elle une attitude dédaigneuse : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! », ce qui trivialement signifie : « vire-là car elle nous casse les pieds » et Jésus ne semble pas en reste avec ses propres remarques dont on ne sait même pas si elles s’adressent à cette femme ou à ses disciples en sa présence : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » ou encore « il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». Les uns comme les autres semblent adopter la stricte attitude que leur dictait la Loi, celle du mépris. Mais c’était sans compter sur la ténacité de cette femme qui lui barre la route en venant se prosterner devant lui. Elle tient tête à Jésus en le reconnaissant « Seigneur et Fils de David ». Elle va jusqu’à rebondir sur la réflexion de Jésus en reconnaissant aux enfants d’Israël la préséance et assumant vouloir se contenter des miettes.
Il se produit alors comme une volte-face, un retournement, une conversion de la part de Jésus qui, plein d’admiration, s’adresse maintenant directement à la Cananéenne pour reconnaître et faire reconnaître la grandeur de sa foi : « Femme, grande est ta foi ». Un bibliste qui a travaillé ce passage conclu en disant ceci : « les conséquences ecclésiologiques et missionnaires d’une telle parole mise dans la bouche de Jésus et visant à faire l’apologie de la foi d’une païenne sont considérables. Matthieu semble bien délivrer ici à la fois un message théologique et des consignes précises à son Eglise en matière d’admission de nouveaux membres. Ce qui compte désormais, au moins en théorie, ce n’est plus seulement l’appartenance au peuple d’Israël (cf. Mt 15, 24) ; ce n’est pas davantage le respect des règles de pureté en matière alimentaire (cf Mt 15, 27). C’est la foi qui sert de critère d’appartenance au christianisme » (J.F. Baudoz).
Si la première lecture se réjouit que des étrangers soient associés au salut, mais dans la mesure où ils observent la Loi et le sabbat, Saint-Paul, quant à lui est déjà entré de plain-pied dans la conversion opéré par Jésus. C’est un complet renversement de situation : Paul est le témoin privilégié de la miséricorde de Dieu offert aux nations et il espère que ses frères de sang sauront eux aussi accueillir la miséricorde de Dieu en reconnaissant cet élargissement de la foi en Christ et en voulant y prendre part.
Oui, hier comme aujourd’hui, le défi pour notre Eglise, c’est celui de l’unité, de l’accueil inconditionnel de nouveaux membres. Et cela commence en étant admiratif et en sachant valoriser l’expression forcément différente de la foi de l’autre : « grande est ta foi ! ». Amen.