25e dimanche du temps ordinaire A – 24 septembre 2023
Is 55, 6-9 – Ps 144 (145) – Ph 1, 20c-24.27a – Mt 20, 1-16
Homélie du P. Franck Gacogne.
Les derniers seront premiers ! Je reviens de Marseille où nous avons vécu un temps exceptionnel. Force est de constater que pape François a l’art et la manière de mettre les derniers (les migrants, les habitants des quartiers les plus pauvres) à la première place. Ainsi, par l’exemple de ses déplacements et de ses paroles, il accompli et il nous encourage à mettre en œuvre l’évangile.
Je me souviens d’un groupe de lycéens d’une aumônerie il y a quelques années qui entendaient pour la première fois cette parabole. Immédiatement, l’un d’entre eux balança : « C’est vraiment dégueulasse ! », il était bien sûr légitimement scandalisé par l’attitude de ce maître de la vigne. La réaction de ce lycéen, je suis sûr que c’est aussi la nôtre, mais parce que bien éduqué, nous ne l’exprimons pas ainsi. Mais au fond qu’est-ce qui nous fait réagir de cette façon ? Car les premiers de la parabole n’ont pas été lésés puisqu’ils ont reçu précisément et exactement ce qui était convenus : le contrat est rempli. Et les derniers quant à eux ont reçu « ce qui est juste » nous dit l’histoire, et l’on découvre à la fin que « ce qui est juste » correspond en fait à la même somme. Comme le faisait remarquer un autre lycéen, le maître commence délibérément par donner le salaire aux derniers venus pour permettre aux premiers d’en être témoins et, comme nous, de s’interroger. Mais voilà ce qu’il se passe dans nos esprits quand on s’interroge : bien qu’intérieurement satisfait de recevoir le salaire convenu, nous ne pouvons nous empêcher de vouloir comparer avec ceux qui en auraient moins fait, et espérer, sinon revendiquer une rallonge avant de crier à l’injustice. Car enfin comment ces derniers venus pourraient-ils bénéficier des avantages, des privilèges, de la reconnaissance, des honneurs que j’ai mis tant de temps à acquérir !
Comme dans toutes les paraboles, nous avons l’habitude de chercher le personnage qui représenterait le Seigneur. A l’évidence c’est le maître de la vigne qui est ici la figure de Dieu. Pensez-vous que Dieu distribue de l’argent ? A l’évidence, non ! La seule et unique chose que Dieu puisse donner c’est son amour car c’est son identité : « Dieu est amour ». Dès lors il nous fait je crois comprendre que ce denier reçu, c’est son amour offert.
« Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » Voilà la réponse inédite du Maître de la vigne. La bonté du Seigneur pour chacun de nous est bien déstabilisante, et difficile à comprendre, justement parce qu’elle ne nécessite pas de se gagner, elle n’est pas le dû de quelques méritants qui pourraient s’enorgueillir de la posséder. Sa bonté s’accueille comme un juste don, elle est gracieuse au sens d’un don gratuit sans contrepartie, et elle n’attend en fin de compte que notre consentement tôt ou tard. Voici ce qu’on peut lire dans la lettre de Paul aux Romains au chapitre 4, 4-5 : « Si quelqu’un accomplit un travail, son salaire ne lui est pas accordé comme un don gratuit, mais comme un dû. Au contraire, si quelqu’un, sans rien accomplir, a foi en Celui qui rend juste l’homme impie, il lui est accordé d’être juste par sa foi. »
Je rapproche volontiers cette parabole à un passage de la fin de l’évangile de Luc comme cela a été fait mercredi à la soirée prière et louange, quand Jésus est crucifié. Les appelés de la première heure, c’est-à-dire les Apôtres, ont alors tous fuis par crainte d’être eux aussi arrêtés, et Jésus se trouve entourés de deux brigands sur la croix. L’un d’eux est ce dernier qui demande à Jésus : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. ». Mais Jésus ne dit pas à ce dernier « attends un peu ! D’autres ont répondus bien avant toi et ont plus de mérites ». Non, il répond à ce dernier : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. ». Il en est alors le premier bénéficiaire. Pas moins ou pas plus que les autres, mais seulement le premier chronologiquement parlant, parce que le premier au côté de Jésus à traverser la mort et avec lui sa résurrection. Par la résurrection, il reçoit la vie de Dieu, non pas à 5, 10 ou 30% selon son mérite. Non il reçoit toute la vie du Christ en son paradis, aujourd’hui et maintenant.
Seigneur, quel qu’en soit le moment tu ne sais qu’accueillir avec joie tous ceux et celles qui répondent à ton invitation inlassablement réitérée à toute heure de notre vie. Seigneur Jésus, je crois que tu ne sais pas compter ! En réalité, ce qui est juste pour toi ce n’est pas de répartir tes dons selon les mérites des uns ou des autres ; mais c’est que tous aient le don, le maximum. Voilà ce qui est juste ! Tu ne sais pas fragmenter. Tout ce que tu as, tu le donnes au premier comme au dernier venu. Car cette pièce d’argent, c’est le Royaume, cette pièce d’argent, c’est tout ! Cette pièce d’argent, c’est Toi ! Amen.