30e dimanche du temps ordinaire A – 29 octobre 2023
Ex 22, 20-26 – Ps 17 (18) – 1 Th 1, 5c-10 – Mt 22, 34-40
Homélie du P. Franck Gacogne.
Un commandement, c’est quoi ? : « Fait ceci, ne fait pas cela… ? » La Bible est-elle de cet ordre-là ? Est-elle un manuel et un précis de vie morale constitué d’impératifs auxquels il suffit de se conformer pour que notre vie plaise à Dieu ? Le croyant doit-il être soumis à l’évangile comme un esclave à son maître ? Les commandements tombent-ils du ciel comme des missiles sans que l’on ne sache ni quand, ni où, ni pourquoi ? Non ! Et ce serait je crois une erreur d’avoir un tel rapport à l’Ecriture.
D’abord parce que dans la Bible, le commandement n’est pas contraignant. Il est toujours une réponse possible laissé à ma liberté. On pourrait plus justement l’appeler une re-commandation… il suffit pour s’en convaincre de voir le nombre de fois où le peuple de l’Alliance se contrefiche pas mal des commandements qui lui sont inlassablement rappelés par les prophètes : « choisis donc la vie… » (Dt 30, 19), mais qui n’en fait qu’à sa tête et à ses dépens d’ailleurs.
Ensuite, parce que le commandement dans la bouche de Jésus est une conséquence du don de Dieu qui toujours le précède. Autrement dit, Jésus ne nous commande rien de ce qu’il ne commence pas par faire lui-même. C’est parce que Dieu nous prouve qu’il est amour à travers Jésus qui le signifie par le don de sa vie pour toute l’humanité, que réciproquement, comme une réponse, Jésus nous re-commande d’aimer Dieu unique, en le signifiant nous aussi par toute notre vie dans l’amour que l’on portera aux autres.
Quand on sait qu’il y en a dans l’Ancien Testament pas moins de 613 commandements, dispersés dans plusieurs livres, il y a vraiment de quoi s’y perdre. Belle aubaine pour ce spécialiste de la Loi qui vient rencontrer Jésus, car lui les connaît sur le bout des ongles il les enseigne, et sans doute qu’il les pratique aussi. Mais l’évangile nous précise qu’il est là pour tendre un piège à Jésus, ses intentions sont malveillantes. Pourtant, Jésus accepte le défi et la question qu’il lui pose : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »
Et Jésus lui répond sur le premier des commandements, le premier non pas en termes de chronologie, mais en termes d’importance. Il cite « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » (Dt 6, 5). Il satisfait alors très certainement ce docteur de la Loi car c’est le Shema Israël, la prière fondamentale récitée quotidiennement par les juifs. Sauf que leur échange ne s’arrête pas là. Car immédiatement après, Jésus ajoute un second commandement (ce que ne lui était pas demandé), en précisant que ce second est semblable au premier : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Ce second commandement n’est pas du tout à la suite du premier dans la Bible. Il se trouve dans un autre livre, celui du Lévitique. La pointe de la réponse de Jésus, c’est donc de prendre deux commandements qui étaient dissociés et dispersés dans la Tora pour les joindre et conclure que tout ce qu’il y a dans la Bible dépend de ces deux commandements.
Des personnes se déclarent croyantes. Il est facile de dire que l’on aime Dieu ! Jésus nous dit : d’accord, mais prouve le par la manière dont tu aimes, dont tu es attentif à ceux qui te sont proches. Et dans l’évangile de Luc, nous savons que Jésus donnera à méditer la parabole du bon samaritain pour illustrer sa réponse comme le meilleur exemple de la mise en œuvre de ce commandement.
Des personnes se déclarent non croyantes et nous les voyons capables d’aimer authentiquement et de se donner pour des proches dans le besoin. Eh bien par sa réponse, Jésus nous dit que cette attitude est semblable à celle d’aimer Dieu. Jésus ne cherche pas à faire de la récupération, il ne fait pas d’un athée déclaré ou non un chrétien qui s’ignore ! Non, il nous invite simplement à reconnaître dans cette attitude l’amour de Dieu qui se manifeste, et en rendre grâce. Voilà pourquoi Jésus nous dit que ces deux commandements sont non pas identiques, mais qu’ils sont semblables, c’est à dire que l’un et l’autre comme les deux faces d’une même pièce révèlent l’homme comme infiniment aimé de Dieu. Dieu ne nous a pas prouvé son amour autrement que dans la façon dont Jésus rencontre, parle, guéris, pardonne, relève… et donne sa vie. C’est donc à la mesure que j’en prends conscience, que je peux en rendre grâce.
Jésus n’abolit pas les 611 autres commandements ni toutes les autres prescriptions, mais il les considère comme autant de manière de conjuguer le verbe aimer. Aimer n’est pas un commandement qui contraint, qui réduit, qui ferme, mais au contraire, aimer libère, ouvre et dilate le cœur, car il revient à chacun d’entre-nous d’inventer l’art et la manière de le faire. Au IVème siècle déjà, St Augustin avait cette formule : « Aime, et ce que tu veux, fais-le ! », puissions-nous l’actualiser à travers l’audace les mots de frère Roger de Taizé qui disait : « Aime, et dis-le par ta vie ». Notre monde en a tant besoin. Amen.