2ème dimanche de Carême B – 25 février 2024
Gn 22, 1-2.9-13.15-18 – Ps 115 (116) – Rm 8, 31b-34 – Mc 9, 2-10
Homélie du P. Franck Gacogne
Vous le savez, le choix des lectures pour la liturgie le dimanche cherchent en général à mettre en correspondance la première lecture et l’évangile : la lecture de l’ancien testament jouant parfois un rôle d’annonce ou de prophétie du Messie qui vient ; ou inversement, l’évangile apportant un éclairage ou visant à manifester l’accomplissement des Ecritures qui le précèdent. Je me suis donc demandé en quoi le récit du « sacrifice d’Isaac » ou plutôt de la « ligature d’Isaac » (car il n’y a jamais eu de sacrifice), en quoi ce récit pouvait être en correspondance avec celui de la transfiguration. Et j’ai repéré trois points de convergence : la montagne, la théophanie (c’est-à-dire la manifestation de Dieu) et enfin le témoignage impossible.
La montagne tout d’abord : nous le savons, c’est le lieu par excellence de la rencontre de Dieu, de sa recherche ou de sa révélation. Nous en avons dans la Bible de multiples exemples. Nous pouvons penser au Mont Sinaï avec Moïse et la présence ardente du Seigneur, au Mont Horeb avec Elie et la présence légère du Seigneur dans un souffle. Tiens, il se trouve que ces deux-là Moïse et Elie sont aux côtés de Jésus sur le Mont de la Transfiguration ! Nous-mêmes pourrions sans doute être témoin de ce lieu privilégié qu’est la montagne pour chercher le Tout Autre ou simplement l’y découvrir comme dit le livre de la Sagesse, en reconnaissant dans ce qui est beau Celui qui en est l’Artisan. (Sg 13, 1-9)
Le deuxième point de convergence, c’est la théophanie, c’est-à-dire la manifestation de Dieu. Dans le récit de la Genèse, Dieu semble se manifester en demandant à Abraham de lui sacrifier son fils Isaac. En tout cas, c’est de cette façon que le rédacteur de la Genèse, qui n’a évidemment pas été témoin de cet événement, choisit de nous rapporter ce qu’Abraham aurait compris. De deux choses l’une, soit il n’a pas bien écouté, soit il n’a pas compris ce que Dieu lui demandait car au final Dieu refuse le geste qu’Abraham s’apprêtait à accomplir soi-disant à sa demande : « Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal ! ». Pensez-vous vraiment que Dieu soit une girouette, pouvant demander une chose et l’instant d’après son contraire. Plus encore, pensez-vous que Dieu puisse demander ce qu’il y a de plus scandaleux et invraisemblable, le sacrifice d’un fils qui, par-dessus le marché, ne pourrait que le disqualifier et faire cesser sur le champ toute croyance en lui ? Qui voudrait mettre sa foi en un tel Dieu ? Ma conviction, c’est que si Dieu nous invite à faire des prières de demande, en revanche, lui de son côté ne nous demande rien. Il n’est pas dans le donnant-donnant ou pire, le chantage. Dieu ne sait que donner sans rien demander en retour, il ne peut que donner ou plus précisément se donner. Ecoutons le prophète Isaïe : « Que m’importe le nombre de vos sacrifices ? – dit le Seigneur. Les holocaustes de béliers, la graisse des veaux, j’en suis rassasié. Le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’y prends pas plaisir. Quand vous venez vous présenter devant ma face, qui vous demande de fouler mes parvis ? Cessez d’apporter de vaines offrandes » (Is 1, 11-13). La seule chose que Dieu accepte de recevoir de notre part, ce ne sont pas des choses, ni des sacrifices, mais c’est notre action de grâce en reconnaissance du don de sa vie. Et même cette action de grâce n’est en fait pas nécessaire et ne vient pas conditionner le don gratuit de sa vie, car elle est une conséquence de ce don et non pas sa condition. Le psaume que nous avons entendu disait ceci : « Ne suis-je pas, Seigneur, ton serviteur, moi, dont tu brisas les chaînes ? Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce, j’invoquerai le nom du Seigneur. »
Toute initiative pour Pierre de vouloir faire des choses pour Dieu, comme de vouloir dresser trois tentes, est disqualifié et inappropriée. Seul importe d’écouter la révélation qui leur est faite et qui nous est faite : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! ». Vous me direz peut-être oui, mais St-Paul affirme que Dieu n’a pas « épargné » son propre Fils. Cela veut dire, en effet que Jésus est bien passé par la mort comme le commun des mortels. Tant mieux et heureusement pour nous, sans quoi, comment nous serait-il accessible et crédible ? Mais ce Fils bien aimé n’est bien entendu pas « sacrifié » par son Père. C’est Jésus lui-même qui choisit de donner sa vie : « ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18) affirme Jésus dans l’évangile de Jean.
Enfin, mon troisième point de convergence entre la première lecture et l’évangile, c’est le témoignage impossible. Personne n’est témoin du récit du pseudo sacrifice d’Isaac puisque les deux serviteurs qui accompagnent Abraham sont sommés de rester au pied de la montagne (Gn 22, 5), dommage que l’on n’ait pas entendu ce verset. Sur la montagne de la transfiguration en revanche, Pierre Jacques et Jean sont bien présents mais sommés de se taire jusqu’à ce que « le Fils de l’homme soit ressuscité d’entre les morts ». Car voilà enfin la clé qui donne sens à toutes les Ecritures, à notre baptême et notre chemin de carême : Notre Seigneur est le Dieu de la vie, c’est la seule chose qu’il sache nous donner sans jamais rien nous demander en retour : sa propre vie. Amen.