5ème dimanche de Carême B – 17 mars 2024
Jr 31, 31-34 – Ps 50 (51) – He 5, 7-9 – Jn 12, 20-33
Homélie du P. Franck Gacogne
Dimanche prochain, nous vivrons la célébration des rameaux en méditant la passion de Jésus, avant de célébrer le vendredi suivant le jour de sa mort sur la croix. Dans l’évangile d’aujourd’hui, nous voyons Jésus comme pré-sentir tout cela. L’évangéliste Jean nous présente dans ce passage un Jésus à la fois déterminé, mais également bouleversé et inquiet face aux épreuves qui l’attendent. Voilà Jésus qui est diminué, il est moralement atteint et il ose le dire à ceux qui l’entourent : « Maintenant mon âme est bouleversée ». Ce n’est pas habituel de le voir ainsi. Nous sommes peut-être plus habitués à voir Jésus combatif, comme par exemple il y a deux semaines quand il chassait les vendeurs du Temple, et qu’il leur lançait comme un défi. Là au moins, nous avions l’expression d’un Dieu tout puissant ! Non ? Mais Jésus est-il encore tout puissant maintenant qu’il s’avoue bouleversé, et qu’il ne sait s’il peut demander à son Père de le délivrer de cette heure ? Il s’agit de l’heure de sa mort.
C’est une question très difficile. Constamment dans la liturgie nous entendons des prières où se trouve scandée cette formule : « Dieu éternel et tout-puissant ». Mais en fait, le choix de l’expression « tout-puissant » pour qualifier Dieu n’est pas très heureux, et peut-être même qu’il n’est pas juste. Je crois qu’il conduit beaucoup de chrétien à une incompréhension, peut-être même à un rejet. Car en effet, nous avons tous l’idée d’un Dieu bon et je pense que nous avons raison de le penser, mais quand nous voyons ou quand nous subissons nous-mêmes des souffrances, des épreuves, des échecs, des drames qui nous accablent où qui accablent des proches. Nous sommes en droit de nous demander si Dieu peut bien être à la fois bon, et tout puissant. Du coup, dans ces épreuves, nous sommes bien souvent face à un dilemme : Ou bien Dieu n’est pas bon, ou bien il n’est pas tout-puissant !
Regardons la vie de Jésus. Jésus n’a jamais valorisé la souffrance, il n’a jamais essayé de l’expliquer encore moins de la justifier. Tout ce qu’il a fait, c’est la combattre du mieux qu’il pouvait, en apaisant des hommes et des femmes qu’il rencontrait, en redonnant une dignité à ceux qui étaient broyés par les épreuves. Mais Jésus n’a pas éradiqué le mal, il n’a pas supprimé à tout jamais la souffrance et la mort. Alors où est donc sa toute-puissance ?
La Bible parle bien de la puissance de Dieu, mais elle n’évoque pas sa « toute-puissance », c’est-à-dire une puissance qui s’exercerait de façon absolue. L’Eglise des premiers siècles a repris un mot grec « Pantocrator » pour qualifier le Christ, mais Pantocrator ne veut pas dire « celui qui peut tout », mais plutôt « celui qui tient tout dans sa main » (He 1, 3). La traduction de cette notion par « celui qui peut tout : tout-puissant » a rendu le mauvais service de faire croire que Dieu, tel un magicien ou un sorcier, pouvait faire à la limite tout et n’importe quoi, et traverser autant qu’il le voudrait ma liberté. Cette mauvaise traduction conduit à croire Dieu comme celui qui nous domine d’en haut, alors qu’au contraire, « puissant » veut signifier que Dieu nous sauve, c’est-à-dire qu’il nous prend dans ses mains pour nous relever.
Quand la puissance de Dieu se déploie, écrit saint Paul (2 Co 12, 9-10), ce n’est pas dans la force, mais dans la faiblesse. C’est pourquoi, dans ce passage de St Jean où Jésus semble redouter cette heure, celle de sa mort, je crois que nous avons un excellent exemple de la puissance de Dieu. La toute-puissance du Christ, elle se manifeste là, sur la croix. C’est en mourant que le Christ va triompher de la mort. La toute-puissance du Christ, elle est dans son abandon devant l’épreuve qui s’avance. Mais un abandon qui n’est pas défaitisme, Jésus ne baisse pas les bras, il assume jusqu’au bout les épreuves et la mort. Pourtant, Jésus n’a rien d’un fanatique suicidaire. S’il assume la perspective du martyr, ce n’est pas par choix, mais parce qu’il se trouve que cette situation lui arrive comme la conséquence d’une fidélité sans faille. Il se trouve que sa logique d’amour pour tous les hommes l’a conduit jusqu’à la croix. Son désir de donner de lui-même, l’a conduit jusqu’à cette extrémité : donner sa propre vie. Elle est là la toute-puissance de Dieu ! C’est d’être allé jusqu’au bout. Jésus n’a pas jeté l’éponge. Voilà pourquoi l’évangile affirme que par la croix le Père glorifie son Fils. Et il le glorifie encore chaque fois que nous croyons que sa puissance d’amour est non pas un outil magique pour nous faire échapper aux épreuves, mais que cette puissance d’amour, c’est Dieu lui-même qui nous accompagne dans nos épreuves. Oui, parce que par la croix, Dieu nous a devancé. Et quelle puissance il a ainsi manifesté ! Alors oui, Jésus est ce grain de blé qui tombe en terre et qui meurt pour que jaillisse en germe cette force de vie, cette puissance de résurrection, cette victoire sur la mort pour lui et pour chacun de nous.
Prenons quelques instants pour contempler le Christ sur la croix. Et si dans chaque célébration où nous entendons dire de Dieu qu’il est tout puissant nous pouvions penser à la croix, alors nous aurons compris que Dieu n’est puissant qu’en amour, parce qu’il s’est fait vulnérable avec nous sur un chemin d’humanité. Mais par lui, Dieu nous en relève. Amen.