15ème dimanche du temps ordinaire – 14 juillet 2024
Am 7, 12-15 – Ps 84 (85) 9ab.10, 11-12, 13-14 – Ep 1,3-14 – Mc 6, 7-13
Homélie de Éric de Nattes
Une mission sans moyens ?
Il a toujours fallu mettre en œuvre des moyens pour assurer la mission de l’annonce de l’Évangile. Et nous le voyons dès les lettres de St Paul, lui qui prépare minutieusement, avec son équipe, chaque mission : la destination, les réseaux qui peuvent aider sur place, une lettre qui peut précéder son arrivée, et bien sûr, les moyens financiers pour assurer le voyage entre autres, moyens que lui fournissent les communautés d’où il part, ainsi que les ressources de riches commerçantes, influentes.
Alors, si nous évitons une lecture naïve selon laquelle il faudrait être démuni de tout pour réussir la mission que le Christ nous confie, comment lire ces consignes : rien pour la route ; pas de pain, pas de sac, pas de pièces… Mais avant, je voudrais faire remarquer que, sur le contenu du message, nous n’avons qu’une brève indication : ‘’ils proclamèrent qu’il fallait se convertir’’. Cela fait plutôt penser à la prédication du Baptiste. ‘Se convertir’, changer de comportement et sa vision des choses, c’est ce que l’on fait en vue de se préparer à l’événement imminent de la venue de Dieu.
Et c’est bien normal si l’on y réfléchit. Car les disciples n’ont pas encore vécu la passion/résurrection. Ils n’ont pas encore vu ce qu’était la Vie, la vie en plénitude, la vie divine qui se donnait jusqu’au bout, qui se livrait aux mains des hommes, dans un dénuement effrayant, un amour inconcevable. Ils n’ont pas vu la Croix plantée en terre : bois effrayant de la violence des hommes et arbre de vie sur lequel Dieu se donne jusqu’au bout. Ils ne sont pas encore passés par le deuil du Dieu auquel ils croient encore. Celui qui forcément va accomplir un geste de pouvoir qui va renverser la situation et terrasser les incrédules, et punir les ennemis. Ils ne sont pas encore passés par l’épreuve de l’échec total à vues humaines. Celui en qui ils mettent leur confiance est encore un ‘gagnant’ à la manière du monde.
Pour l’instant, ils sont encore dans la phase où les gestes de puissance de Jésus et ses paroles, les portent, sans qu’ils en comprennent vraiment la signification. Ils sont dans la phase grisante de la réussite… ça marche ! Ça fonctionne ! Si l’on entend bien cela, alors les consignes me semblent prendre leur sens.
Il les envoya deux par deux. C’est en Église que l’on témoigne du Dieu qui nous est révélé en Jésus-Christ. ‘’Deux ou trois réunis en mon nom, je suis là, au milieu de vous’’. C’est bien, me semble-t-il, le sens d’un chemin synodal. Écouter, s’écouter, et laisser la parole changer le coeur de chacun et prendre le temps de s’ajuster à ce que l’Esprit suggère.
Il leur donna autorité sur les esprits impurs. Dans les évangiles, les esprits impurs sont précisément ceux qui prétendent ‘’savoir’’ qui est Jésus : ‘’nous savons qui tu es’’. Et il les fait taire immédiatement. Il les fait taire car on ne témoigne pas de Dieu parce qu’on a un savoir sur lui, mais par ce que l’on a une expérience de vie en sa compagnie. Il est l’Emmanuel, le Dieu avec nous, dans nos joies et nos obscurités, voire nos ténèbres. Et c’est bien ce que les disciples vont vivre dans leur rencontre avec Jésus. Ils n’acquièrent pas un savoir que Jésus leur distille, ils vivent une rencontre qui les interroge, qui les laisse souvent sans voix et dans l’incompréhension, voire qui les perturbe au point de les scandaliser. Et il faudra l’ultime de la Croix, du tombeau et de la résurrection, pour qu’ils lâchent leur dernières certitudes sur ce qu’ils pensaient ‘savoir’ sur Dieu. Il y aurait tant à méditer pour chacun de nous. Quand tu parles de Dieu, par quelle autorité en parles-tu ? Celle de Jésus… ou bien ?
Ne rien emporter pour le chemin : ni sac, ni pain, ni monnaie, ni tunique de rechange. Toutes ces consignes – rappelons-le – sont bien en vue de la mission de proclamation de l’Évangile. Pain, sac, argent, tunique de rechange… des éléments hautement symboliques, me semble-t-il. Et il faudrait s’arrêter sur ce que Jésus dit de chacun, Lui qui rappelle à l’Esprit impur par excellence – Satan – que l’homme ne se nourrit pas seulement de pain, Lui qui refuse les richesses qu’il Lui fait miroiter, et enfin le ‘’pouvoir’’ religieux lui-même en le plaçant au sommet du Temple. Faites attention à la logique des moyens ! Les moyens semblent neutres au début, puis ils vous absorbent et deviennent vos maîtres. C’est la tentation permanente de mettre sa sécurité dans les moyens et non plus dans l’Esprit de Dieu lui-même. Enfin, secouer la poussière de ses sandales face au refus d’entendre, me semble encore une volonté de limiter son pouvoir, sa puissance. Nous l’avons tant de fois oublié nous qui avons voulu convertir de force. Il y a dans l’esprit religieux quelque chose qui peut tendre vers le fanatisme, l’invitation à la vie peut vite se transformer en obligation morale. Secouer la poussière de ses sandales, c’est déjà le refus de devenir violent avec l’autre.
Ces consignes ne sont-elles pas d’abord le préalable à une véritable culture de la rencontre, de la fraternité. Un dépouillement qui suscite en l’autre son hospitalité. N’est-ce pas alors le plus beau témoignage que l’on puisse rendre à ce Dieu qui se tient à la porte et qui frappe, mendiant de faire en chacun de nous sa demeure ?