16ème dimanche du temps ordinaire – 21 juillet 2024
Jr 23, 1-6 – Ps 22 (23) 1-2ab, 2c-3, 4, 5, 6 – Ep 2, 13-18 – Mc 6, 30-34
Homélie de Éric de Nattes
Comme des brebis sans berger
Dimanche dernier nous avons vu nos disciples envoyés pour la première fois par Jésus en mission et devenir peu à peu des « disciples missionnaires ». Nous avons constaté que les consignes parlaient d’un invisible, un impalpable, un état d’esprit, une manière d’être, mais qui changeait tout à la mission elle-même, à l’enseignement donné. Une pauvreté du cœur et de l’attitude qui invite l’autre à l’hospitalité, à l’accueil, à l’écoute. Une attitude où il ne se sente ni jugé, ni écrasé par la supériorité de cet autre qui vient lui annoncer une nouvelle, bonne. Sans cet invisible, sans cet esprit, alors tout ne devient que moyens en vue d’une réussite, donc un projet à la manière du monde. Ce n’est plus en l’Esprit de l’Évangile, l’Esprit Saint, que nous mettons notre confiance, mais dans les moyens que nous avons mis en œuvre, qui sont pourtant nécessaires, mais qui doivent rester à leur place et ne pas devenir des « recettes ».
Les voilà de retour de mission. Retour d’expérience ! Là encore, nous ne savons rien de ce qu’ils partagent avec Jésus. L’essentiel est donc ailleurs. Et cet ‘ailleurs’ semble bien être dans l’invitation de Jésus à ‘venir se mettre à l’écart, dans un endroit désert, pour se reposer’. Tous les mots comptent. Se « mettre à l’écart » ! Éviter d’être toujours sur la brèche, sous les projecteurs, sur la scène, au risque de coller peu à peu à l’image que l’on peut donner dans la mission, dans l’activité. Mais quel bon, mais quel excellent conseil spirituel du Seigneur ! Il se l’applique d’ailleurs à lui-même, Lui que l’on voit régulièrement partir à l’écart… pour quoi faire ? Pour retrouver le contact profond, intérieur, avec Celui qu’il appelle son Père. Pour reprendre vie dans une relation essentielle, sans laquelle toute sa mission perd son sens. Parce qu’il ne la recevrait plus d’un autre, mais il en aurait fait son projet. Et Jésus invite donc ses disciples à prendre cet écart pour refaire équipe et relation avec Lui, Lui qui les envoyés en mission, Lui sans qui tout ce qu’ils viennent de faire ne serait que des paroles de sagesse au mieux, ou de la morale. C’est en Lui qu’ils puisent leur énergie, le sens de leur action missionnaire. Sans ce contact régulier qui impose une mise à l’écart, une fois encore, tout ne devient que projet humain à évaluer selon les critères du monde. Comment pourraient-ils être disciples missionnaires, fraternels et avec le désir de la rencontre au cœur, s’ils ne reprenaient pas vie dans la rencontre avec Celui qui incarne ce Dieu qui ne cesse de cheminer avec l’homme, désirant son contact et son amour ?
À l’écart, dans un endroit désert ! Le désert est tout à la fois le lieu où l’on refait alliance avec Dieu, et le lieu où l’on est mis à l’épreuve. Rappelez-vous les tentations du Christ juste après que l’Esprit ait attesté qu’il était le Fils bien-aimé. C’est le lieu ou précisément, par-delà l’image que l’on peut avoir de soi dans le monde, les activités qui sont les nôtres, nous apprenons qui nous sommes. Avec notre part obscure, les tentations qui sont en nous. La voix de nos démons qui nous parlent. Mon Dieu ! Si tant de personnes avec des charismes certains, des réussites brillantes dans leurs activités, dans l’Église comme dans le monde, ne s’étaient pas fait illusion sur elle-même, et avaient pu regarder l’homme pauvre, faillible, plein de tentations diverses qu’ils étaient. Et si nous, nous arrêtions de regarder l’autre qui a du charisme et qui réussit comme notre héros, pour comprendre que toute lumière est accompagnée de sa part d’obscurité. « Connais-toi toi-même » disait déjà le vieux Socrate. Avec Jésus, connais-toi toi-même sous le regard de ton Dieu. Tu es un homme pécheur qui a besoin d’être sauvé. N’entraîne pas les autres dans ta chute, par ta cécité sur toi-même.
« À l’écart, dans un endroit désert, pour vous reposer ». Comment ne pas penser au maître qui dit à ses disciples, « Je suis doux et humble de cœur, venez à moi, vous tous qui ployez sous le poids du fardeau ». Disciples missionnaires : oui ! Prêts à entrer dans le mouvement du don de la vie, du don de soi : oui ! Mais le don ne signifie pas l’épuisement de soi. Attention ! Se reposer ! Nous avons aussi besoin de vide, du rien, pour que la vie intérieure s’épanouisse. Sinon, c’est le contrôle, la maîtrise, ou l’ensablement, la sécheresse qui fait que le désert devient désolation et que jamais il ne refleurit.
Oui, Seigneur, quels que soient nos talents, nos charismes, nos réussites, notre désir de nous donner, c’est Toi qui demeure le seul Berger. Apprends-nous la vraie mesure de nous-mêmes et de quel amour nous sommes aimés, Toi qui as des entrailles de mère, secouées à la vue des foules orphelines. Car en nous sauvant Tu nous ré-enfantes sans cesse à la vie divine. Vais-je profiter de ce temps d’été pour faire le point avec Toi ? Vais-je vraiment me mettre à l’écart avec Toi et me reposer pour pouvoir plonger au fond de moi. Me connaître sous ton regard d’amour et de vérité. Si tu savais le don de Dieu !