
6ème dimanche du temps ordinaire – 16 février 2025
Jr 17, 5-8 – Ps 1, 1-2, 3, 4.6 – 1 Co 15, 12.16-20 – Lc 6, 17.20-26
Homélie de Bernard Badaud
Les béatitudes de l’Évangile de Luc sont plus « brutes de décoffrage » que celle de Matthieu. Les pauvres tout court, point, sans ajout, ni pauvres en esprit ; ni pauvres de cœur. Et les affamés, les endeuillés, les méprisés. Affamés, tout court point, pas affamés de justice ou de paix comme dans le texte de Matthieu. Dans l’Évangile de Luc, ce qui précède ce passage, c’est un affrontement violent entre les pharisiens, les scribes et Jésus. Jésus vient d’opérer une guérison un jour de sabbat et le texte dit « ils furent remplis de fureur et ils discutaient entre eux sur ce qu’ils feraient à Jésus. » Alors on comprend mieux, dans ce contexte, le caractère tranché des paroles de Jésus et le deuxième partie qui est absente de la version de Matthieu. « Malheureux êtes-vous ». Le texte s’en prend aux nantis, aux repus, aux esprits forts ou qui se croient tels. Aux « populaires » !
Dans la liturgie de ce dimanche, tout est lié. La première lecture « maudit soit (…) béni soit (…) » le psaume : « Heureux l’homme (…) le sort de méchants ». Jésus s’adresse à ses disciples, en opposition aux docteurs de la loi et aux pharisiens : « Heureux, VOUS ! ». D’ailleurs, plutôt que heureux, il faudrait traduire avec André Chouraki : « En marche, en avant… » . « Yalla ! » comme disait sœur Emmanuelle. « Lève-toi et marche ! » dit Jésus, « Debout » comme nous l’avons chanté au début de la messe.
Si on continue un instant à faire le parallèle entre le texte de Mathieu et celui de Luc.
Matthieu, c’est sur la montagne. Avec Jésus, les disciples sont un peu sur un petit nuage. Jésus commence à être célèbre est entouré d’auditeurs attentifs. Dans l’Évangile de Luc, ça se passe dans la plaine. On est redescendu dans la réalité abrupte. Là, Jésus est entouré d’une foule bigarrée et de malades, de réprouvés… Mais il faut noter que dans les deux cas cela intervient après l’appel des disciples… autrement dit notre appel aujourd’hui.
Alors nous comprenons ce que cette parole de Jésus dans l’évangile de Luc à de provoquant. Elle est une parole prophétique au sens où elle dénonce la part d’inhumanité de nos sociétés. Pèle mêle dans l’actualité : le manque d’intérêt et d’investissement pour les soins palliatifs, le manque chronique de places pour les personnes handicapées, les personnes sans abri, celles qui sont victimes de discriminations, la surpopulation dans les prisons etc. Il est nécessaire de dénoncer ces situations. Mais nous pouvons aussi regarder avec Jésus toutes celles et tous ceux qui se relèvent, celles et ceux qui donnent un témoignage d’espoir. Dans mon entourage je pense à ces amis médecins tous les deux. Lui a choisi de se consacrer aux soins palliatifs, elle aux enfants lourdement handicapés dans des familles de migrants en banlieue parisienne. Je pense aussi à cette famille qui a adopté une jeune trisomique, à cette communauté religieuse qui héberge des migrants sans papiers… Tous ceux-là le font au risque de se voir incompris et méprisés et moqués, y compris par des personnes de leur entourage. Mais comme le proclame le texte de St Paul que nous avons ne tendu en 2ème lecture, tous ceux-là sèment des germes d’espérance en la vie éternelle. Sans compter que ces germes donnent déjà des fruits de joie. Maud, la jeune fille trisomique adoptée, a réuni pour ses 30 ans plus de 90 amis qui comptent pour elle et pour qui elle compte. Je ne vous dis pas l’ambiance ! Et que dire du sourire apaisé de cette malade entourée des siens en unité de soins palliatifs ? L’Évangile ne nous parle pas seulement de la résurrection finale. Jésus nous dit au présent que le Royaume de Dieu est à nous.