Open/Close Menu Paroisse catholique à Lyon

1er dimanche de Carême – 9 mars 2025

Dt 26-4, 10 – Ps 90 (91)1-2, 10-11, 12-13, 14-15ab – Rm 10, 8-13 – Lc 4, 1-13

Homélie de Éric de Nattes

 

« Après son baptême, Jésus, rempli d’Esprit-Saint, quitta les bords du Jourdain ; dans l’Esprit, il fut conduit à travers le désert. » Alors écoutons à nouveau la voix venue du ciel lors du baptême, elle disait : « Toi, tu es mon Fils bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. » Écoutons les premiers mots de la voix qui retentit dans le désert : « ‘SI’ tu es le Fils de Dieu… ». D’un côté la voix qui atteste, de l’autre la voix qui conteste, ou qui jette le doute. D’un côté une voix qui donne, sans contrepartie, sans conditions, dans la joie du don : en ta vie de ‘fils’ je trouve ma joie’. De l’autre côté une voix qui promet ‘tout’ – « tout ce pouvoir » – mais tout est toujours hypothétique, au futur. En réalité, rien n’est donné ! Et en plus, à quelle condition ! « Si tu te prosternes devant moi. »

Autrement dit, ‘’si tu nies qui tu es, et que ‘moi seul’ désormais existe’’. D’un côté une voix qui atteste la relation filiale, dans la joie du don. Qui se réjouit de l’existence de l’autre devant soi, et de la relation que cela suscite : autrement dit qui place la relation au coeur de la joie et de la vie. ‘Tu existes, et cela me comble de joie !’ De l’autre, une voix qui jette le doute sur la filiation et qui tue la relation : ‘tu ‘auras’ tout, si tu renonces à exister devant ‘moi’ ; en réalité, devant mon ego, car le ‘moi’ ne peut exister que par la présence d’un autre. Cet ego, qui désormais sera seul. De l’avoir – soi-disant – ‘tout avoir’, mais en destruction de l’être !

J’ai fait exprès d’insister sur ce dialogue effarant qui rappelle celui du serpent qui promet tout à l’humain, sans interdit, mais qui ne donne rien en réalité… et qui jette le doute sur une parole qui, elle, a tout donné, mais avec un interdit : précisément celui de ne pas ‘tout’ manger, pas ‘tout’ dévorer. La dévoration du ‘tout’, c’est la mort. La mort de l’autre, et en définitive, la mort de soi puisque ‘Je’ – la personne que je deviens sans cesse – ne peux vivre que dans la relation. C’est ce que nie le serpent. ‘Dévore tout et tu seras comme Dieu’ dit-il. Alors que Dieu dit : ‘tout t’est donné, sauf de dévorer le ‘tout’, sinon tu mourras’.

Tout cela vous apparaît peut-être abstrait. Je rappelle que dans les rapports humains, un des traits qui font reconnaître la personne toxique, et, disons-le, le pervers, c’est peu à peu de vous isoler, de vous couper de toute relation, de vous faire croire que sans lui vous n’êtes rien, pour mieux vous dominer, faire de vous sa chose, tuer la personne qui veut vivre en vous. Il vous flatte (tu seras comme un dieu), puis vous méprise et vous rabaisse, puis vous flatte à nouveau et ainsi de suite, jusqu’à ce que vous perdiez toute estime de vous. On pourrait dire que Satan est le grand pervers, ou plutôt la voix perverse, celle de la mort, du néant, dans le coeur de l’humain.

C’est ainsi que Jésus demeure Le Fils, l’Unique, par la tentation inévitable par laquelle il passe, de douter et peut-être de renier la filiation, sa relation au Père, mais de ne pas chuter. Il faudra attendre la Croix pour entendre la tentation revenir : ‘pourquoi m’as-tu abandonné’, et la fidélité l’emporter : ‘en tes mains je remets ma vie’. Jésus vit l’épreuve de la faim, du manque. Lorsque tu ‘as’ tout pour vivre et que tu manques encore, demande-toi de quoi – ou plutôt de ‘qui’ – tu manques, surement de l’essentiel : de l’autre. Tu désires encore vivre. ’’Ordonne à cette pierre de devenir du pain.’’ Le piège de Satan est de toujours à toujours. C’est celui de tout réduire à de la consommation. Masquer le manque d’être par de l’avoir. Le monde, l’autre, tout qui devient réduit à de la chose pour apaiser ma faim. Alors que ça ne fait que la creuser, parce que l’autre me manque de plus en plus. Le prédateur avide est en train d’envahir tout le terrain de mon être. Je retiens une des dernières paroles du Christ en Croix : ‘’J’ai soif’. Soif de Dieu, de mon prochain, de l’autre et du partage de la vie.

Jésus vit l’expérience de la vulnérabilité, de la petitesse, voire de son insignifiance au regard du monde, dans ce milieu où il est isolé et avec si peu de moyens. La vie : un souffle qui passe si vite ; une existence : une poussière dans une immensité. ‘’Il lui montra tous les royaumes de la terre avec leur gloire’’. La tentation du pouvoir, de la domination, de la gloire. On pourrait dire : la dilatation de l’égo qui envahit tout l’horizon, même celui de l’autre. Pas besoin de vouloir fonder des empires pour éprouver parfois ce désir de régenter la vie des autres ou de vouloir imposer ses conceptions, sa façon de voir et de vivre. Ô Seigneur, cette vigilance qui sera constamment la tienne à respecter la liberté de l’humain. Il n’y a que les démons que tu soumettras. Jamais tu ne donneras ce pouvoir à tes disciples sur les hommes.

Jésus vit l’expérience de l’exigence dans la relation au Père : silence, solitude et peut-être jusqu’au sentiment d’abandon. Et là, le ‘Diviseur’ le tente en citant la Parole elle-même, mais qu’il tort et travestit en la sortant par petits bouts de son contexte général ; et par la religion aussi, en le plaçant symboliquement au sommet du Temple. La Parole et la religion instrumentalisées ! Est-il besoin de rappeler combien cette tentation est de toujours à toujours et tellement actuelle. Et point n’est besoin de prétentions politiques pour entrer dans ce jeu funeste qui a détourné tant d’enfants du Seigneur lui-même : ‘Dieu te voit et te punira. Il sait tout.’ Dieu devenu une idole à disposition de langues perverses qui parlent en son nom. Ô Seigneur, Toi le Verbe de la Vie, Toi le Temple vivant rebâti en 3 trois jours, Tu as toujours pris soin de ne dire que ce que tu tenais du Père et non des hommes et de leurs désirs de dominer leurs semblables.

Frères et sœurs, il faudra attendre désormais la Semaine-Sainte pour entendre à nouveau la voix de la tentation dire : « Si tu es le Fils de Dieu, descends donc de la Croix et sauve-toi toi-même. » Dans la faim extrême, le dénuement total, l’exigence nue et terrible. Notre chemin de carême, notre combat de fils et de filles du Très-Haut a commencé.