6ème dimanche du temps ordinaire B – 11 février 2024
Lv 13, 1-2.45-46 – Ps 31 (32) – 1 Co 10, 31 – 11, 1 – Mc 1, 40-45
Homélie du P. Franck Gacogne
Quel écart entre la première lecture et l’évangile ! Quelle différence entre l’attitude qui devait être tenue envers un lépreux et celle que choisie Jésus ! Le livre des Lévites que nous avons entendu instituait et légalisait l’exclusion de certaines personnes. Cette exclusion était inscrite dans la Loi transmise à Moïse et elle mettait à l’écart des personnes parce qu’atteintes de la lèpre : « il habitera à l’écart, son habitation sera hors du camp ». Je suis sûr que certains d’entre vous connaissent le grand péplum américain Ben-Hur, un film maintenant ancien. Vous vous rappelez peut-être de la scène où la mère et la sœur de Ben-Hur atteintes de la lèpre après des années de cachot sont condamnées à pire en devant rester reclus dans des grottes qui leur étaient réservées à l’écart du monde des vivants.
De fait, la loi de Moïse rejetait ces personnes dans des lieux éloignés, elles étaient mises au ban de la société. Le motif de cette exclusion n’était d’ailleurs pas tant pour des raisons de contagion que pour un motif religieux. Les hébreux, extrêmement marqués par la distinction entre le pur et l’impur, considéraient cette maladie comme la conséquence d’un mauvais comportement, la conséquence du péché commis par une personne, voire même par ses parents. On estimait alors que Dieu infligeait son châtiment en marquant cette personne de la lèpre pour qu’elle soit considérée par tous comme « impure ». Interdits de Temple et de synagogue, tout contact avec des lépreux rendait également « impur », au moins pour un temps. Avec leurs « vêtements déchirés » qu’ils devaient porter, symbole de deuil, ils étaient considérés comme des morts-vivants.
Mais plusieurs siècles après, au temps de Jésus, rien n’a changé, c’est toujours cette même Loi qui est en vigueur. Avec ce passage de l’évangile de Marc, nous avons en quelque sorte la suite de l’histoire : Un lépreux vient trouver Jésus et tombe à ses genoux en le suppliant, alors qu’il est censé raser les murs et se tenir à l’écart, le lépreux se met par conséquent ouvertement hors la Loi de Moïse. Jésus, quant à lui, au lieu de s’écarter pour en être préservé, se compromet lui aussi, il se met hors la Loi, en considérant cet homme, en étendant la main et, comble de la transgression, en le touchant. Jésus pose un geste invraisemblable, qui pulvérise un tabou social et religieux, qui pulvérise cette fausse idée de châtiment, il touche celui qui est qualifié d’intouchable. Aux yeux des juifs de son temps, Jésus devient alors lui-même impur, il prend sur lui l’impureté, la mort du lépreux. C’est bien sûr intentionnel de la part de Jésus qui veut prendre sur lui le poids de la Loi qui pesait sur les épaules de cet homme pour l’en libérer, pour le rendre à la vie. Par ce contact, ce n’est pas la supposée impureté du lépreux qui se transmet à Jésus, mais c’est au contraire la sainteté de Jésus et la puissance de Dieu qui se transmet au lépreux. En le touchant, il ne se contente pas de le guérir, il lui redonne sa place au milieu des vivants, il le réintègre dans la société et devant Dieu. Plus loin au chapitre 7, Jésus dira à ceux qui l’écoutent que c’est toujours un cœur perverti qui rend l’homme impur, et non pas une maladie, une infraction au code rituel ou des aliments. Oui, Jésus ose opérer ce renversement.
Vous l’avez remarqué, Jésus agit intentionnellement et ouvertement à contre sens de la loi. Dès lors, on peut légitimement s’interroger sur l’appellation « loi de Dieu » qui est parfois donnée sans discernement, notamment sur les réseaux sociaux, pour qualifier tous les commandements de l’Ancien testament. Je crois que ce qui fait « loi de Dieu », c’est d’abord et avant tout l’attitude de Jésus : « Qui me voit, voit le Père » (Jn 14, 9)
J’évoquais tout-à-l’heure le film Ben-Hur, et pour moi, la scène la plus touchante et plus puissante, c’est quand Ben-Hur fini par décider de passer outre l’interdiction. Dans un mouvement pascal et christique, il descend dans les profondeurs de la mort pour y extraire sa mère et sa sœur que la loi y avait ensevelie afin de les ramener à la vie, quoi qu’il en coûte pour sa propre santé, son avenir ou le « qu’en dira-t-on ».
Ces textes ont-ils quelque chose à nous dire pour nous aujourd’hui ? Nous l’avons entendu dans la première lecture, le lépreux doit crier : « Impur ! Impur ! » comme pour s’annoncer, pour que les purs eux, aient le temps de s’écarter. « Impur » devient la façon de qualifier ces personnes, c’est leur nom. Dans l’évangile au contraire, dès que « le lépreux » rencontre Jésus, il devient « un homme », il retrouve sa dignité. L’exclusion ne commence-t-elle pas d’emblée par la manière d’appeler, de considérer les personnes. Nous parlons des handicapés, des homosexuels, des divorcés, des SDF, des Roms… que sais-je encore, un peu comme si leur situation, une maladie, leur origine, une orientation sexuelle… disait absolument tout d’eux, jusqu’à devenir leur seul et unique qualificatif, voire leur identité. Pourtant, il s’agit de personnes dont il se trouve qu’elles puissent être handicapées, homosexuelles, divorcés… Mieux encore, il s’agit de Sara, François, Sophie, Rachid, Delphine…. Qu’il est difficile de ne pas réduire l’autre à son apparence, à la maladie qu’il porte ou à ce qu’on dit de lui. Tout homme, toute femme est créée à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est dire combien Dieu est pluriel ! Dieu nous connait chacun par notre nom qui est gravé sur les paumes de ses mains. Sa manière de nous qualifier et de nous connaître, c’est de nous appeler personnellement par notre nom et de nous prendre par la main.
Il y a deux semaines, nous avons été sollicités pour la journée mondiale des lépreux. Voilà qui est peu dérangeant : des lépreux à l’autre bout du monde que nous ne connaissons pas hormis par le nom de la maladie qu’ils portent, et qui jamais ne nous contamineront. Ce dimanche nous sommes sollicités par le Foyer Notre-Dame des Sans-abri. Là, ça devient plus concret… Oserons-nous le contact à la manière de Jésus ? Je crois que l’amour fraternel peut être très contagieux. Amen.