6e dimanche du temps ordinaire A – 12 février 2023
Si 15, 15-20 – Ps 118 (119) – 1 Co 2, 6-10 – Mt 5, 17-37
Homélie du P. Franck Gacogne
Foi et religion, y-a-t-il une différence ? Diriez-vous plus spontanément que vous avez une religion ou bien que vous vivez de votre foi ? Je crois que les textes de ce dimanche nous invitent à nous interroger sur cette différence, et pour moi, elle est de taille et de très grande importance, en particulier quand Jésus nous dit : « Vous avez appris qu’il a été dit […] Eh bien ! moi, je vous dis ». Se pourrait-il que Jésus lui-même nous demande de passer de la religion à la foi ? De la religion – au sens où je fais des actes pour Dieu –, à la foi, c’est-à-dire quand je reconnais que c’est Dieu qui fait un acte unique pour moi, pour chacun de nous : le don de lui-même.
François Varone, un théologien décédé fin 2022 écrivait ceci : « La religion fait de la Loi un mode d’emploi, précis, complet, qui permet à l’homme de réaliser l’agir religieux exigé par Dieu, de triompher de son exigence, d’être en ordre devant Lui. […] Alors que pour la foi, Dieu fait exister le croyant, mais en donnant respiration à sa liberté, lumière à sa recherche de sens »
Être religieux, c’est chercher à être quitte de Dieu : « Vous avez appris qu’il a été dit : tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne manqueras pas à tes serments etc… » et Jésus rappelle en effet le mode d’emploi que ses auditeurs connaissent sur le bout des ongles. Comme le psaume que nous venons d’entendre : « Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ; à les garder, j’aurai ma récompense. »… Car inconsciemment, en plus de vouloir être quitte, c’est peut-être bien cela, la récompense, que l’homme religieux attends de son Dieu.
Seulement voilà que, sans pourtant rejeter un iota de cette loi, Jésus réplique en disant « Eh bien ! moi je vous dis… », et ce qu’il dit, semble encore plus exigent, encore plus dure à atteindre, il est question de se surpasser, et chacun de nous constate que c’est en effet impossible, montrant sans doute par-là l’absurdité d’une observance scrupuleuse. Car la foi à laquelle Jésus nous invite ne consiste pas à cocher des cases, mais la foi consiste à exercer notre liberté pour choisir de le suivre. Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’, ‘non’, si c’est ‘non’.
Vous connaissez le récit du jeune homme riche dans l’évangile de Matthieu : cet homme cherche la vie éternelle : ce qu’il désire est magnifique ! Jésus lui rappelle les commandements, celui-ci les observe déjà et il dit à Jésus : « que me manque-t-il encore ? » (Mt 19, 20). Il croit nécessaire d’ajouter encore des actes pour Dieu… mais voilà que Jésus l’invite au contraire à tout laisser pour le suivre. Pourquoi ne pas entendre dans cette réponse de Jésus qu’il ne s’agit pas seulement de quitter ses richesses, mais aussi sa manière tatillonne d’accomplir la loi ? Car en effet, la foi, la vie avec Jésus n’est pas objet de possession et de maitrise comme si on possédait un compte en banque, comme si la foi était une assurance tous risque ! Elle est plutôt une inquiétude, une brûlure (Charles Wright), un abandon dans la confiance faite à Dieu.
Le christianisme ne nous fait pas entrer dans une religion du Livre ou de la Loi qui tient Dieu à distance. Non, le témoignage reçu des apôtres nous donne de percevoir le mystère de Dieu comme parole incarnée en Jésus-Christ qui nous met en sa présence pour en expérimenter la relation. Le christianisme n’est pas un enseignement ni un « programme » : c’est quelqu’un. Avec Jésus, on ne s’attache pas à une doctrine, on n’adhère à une personne et l’on peut se faire disciple à sa suite. Dans la religion, je vis sous le régime de l’observance ; dans la foi, sous le régime de la grâce, en cherchant à le reconnaître et à le recevoir dans ma vie de croyant.
Que votre parole soit ‘oui’, si c’est ‘oui’, ‘non’, si c’est ‘non’. La foi, c’est se déterminer plus qu’être déterminé.
La religion propose des valeurs, la foi quant à elle ne connaît que leur mise en œuvre : Ainsi Jésus n’a pas proposé l’amour comme valeur, mais des gestes concrets d’amour et de service, comme le lavement des pieds qu’il accomplit en disant : « faites de même » (Jn 13, 15).
Vous l’avez compris, mon homélie fait l’éloge de la foi, non pas contre la religion, car c’est bien au sein du christianisme et en Eglise que nous pouvons en vivre. Mais sans la foi et sa mise en œuvre désintéressée dans l’amour vécu avec les plus petits, le christianisme est absolument vide. Amen.