32e dimanche du temps ordinaire A – 12 novembre 2023
Sg 6, 12-16 – Ps 62 (63) – 1 Th 4, 13-18 – Mt 25, 1-13
Homélie du P. Franck Gacogne.
« Ces 5 jeunes filles sont égoïstes, elles ne pensent qu’à elles ! » Réaction spontanée entendue d’un jeune de l’aumônerie qui a surement été bien éduqué au partage. C’est ce qu’en toute logique nous devrions tous penser si l’huile de la parabole représentait bien de l’huile, c’est-à-dire une chose, un objet que l’on possède, à plus forte raison un liquide que l’on peut alors si facilement diviser pour en verser un peu dans le récipient d’une autre par solidarité.
Seulement voilà, nous le savons, les paraboles nous invitent toujours à prendre du recul par rapport au sens premier du récit, pour essayer d’en dénicher un sens caché dans un deuxième voir même un troisième niveau de lecture, afin de nous donner à penser et éclairer notre foi : tel est l’objectif d’une parabole. Et là, j’aimerais vous faire part de l’interprétation peut-être un peu inédite que j’ai entendu lors d’une retraite à laquelle je participais en août dernier.
Notre prédicateur, un jésuite, nous proposait d’abord d’observer le contexte : il s’agit de noces. Et nous le savons, c’est le thème qui traverse toute la Bible, de l’ancienne Alliance où Dieu est parfois appelé l’époux d’Israël (Is 54, 1-8 ; Os 1-3), à la Nouvelle Alliance où c’est le Christ qui est l’époux de l’Eglise (2 Co 11, 2, Ep 5, 23.25.32) jusqu’à la fin des temps illustrée dans le livre de l’Apocalypse par la figure des noces de l’Agneau (Ap 19, 7-9). Tout cela pour dire qu’il y a peut-être une correspondance à chercher entre la figure de ces dix jeunes filles et le peuple des croyants que l’époux, peut-être le Christ vient épouser. Avec cette question que l’on doit alors se poser : si nous sommes de ce peuple, comment nous préparer à la rencontre de l’époux, la rencontre du Seigneur puisqu’il est ainsi désigné à la fin de la parabole ?
Le prédicateur nous faisait ensuite remarquer qu’il y avait une séparation : deux groupes bien distincts de même effectif : 5 d’un côté, 5 de l’autre, en nous disant que cette séparation n’était pas toujours entre nous, mais parfois en nous. Quoi qu’il en soit, dans l’évangile, Jésus est très souvent en présence de deux groupes que tout oppose : les pharisiens qui ont toutes les apparences des purs, des justes ; et les publicains qui ont toutes les apparences des pécheurs publics.
Nous avons lu : « elles se réveillèrent », mais en fait la bonne traduction devrait être : « elles sont réveillées », car c’est le verbe de la résurrection, elles sont ressuscitées. Pourtant, seule la moitié vont entrer.
La réserve des insouciantes s’il s’agit des pharisiens, c’est leurs mérites. Les pharisiens sont bien certains d’en avoir assez, et c’est ainsi qu’ils revendiquent le droit d’entrer dans le Royaume comme un dû que le Seigneur leur doit. La réserve des prévoyantes si elles représentent les publicains, c’est leur péché, c’est leur pauvreté et elle est si importante qu’ils en ont de la réserve ! Mais devant Dieu, il se trouve que leurs lampes sont bien plus lumineuses que celles des pharisiens. Rappelons-nous ce que Jésus disait au chapitre 9 : « je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs » (Mt 9, 13). Les pharisiens peuvent bien demander de l’huile aux publicains. Cette demande est impossible à honorer car leur huile n’est pas de même nature, les pharisiens ne veulent pas de leur pauvreté et de leur péché, cela ne s’achète pas. Seuls les mérites, le paraître s’achètent, et ils pensent pouvoir en effet acheter leur entrée au paradis chez des marchands. Dans la société, sur les réseaux sociaux, grâce aux influenceurs, les mérites et le paraître s’achètent… Dieu non ! Seul se reconnaître humble et pécheur suffit pour être prêt et aller à la rencontre du Seigneur. A celui qui pense nécessaire d’ajouter et de faire toujours plus, même pour Dieu, Jésus répond : « va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres. Puis viens, suis-moi » (Mt 19, 16-26)
Je rencontre parfois des personnes qui se présente en disant : « j’ai tout : le baptême, la petite communion, la grande communion, la communion solennel… » que sais-je encore. Ne nous moquons pas trop vite, car il n’est pas impossible qu’intérieurement nous pensions de la même façon être et avoir ce qu’il faut devant Dieu et nous enorgueillir. Et si la fin des temps, si l’entrée dans le Royaume consistait à se laisser faire par l’époux ? Ce n’est pas à nous d’estimer si ce que nous avons ou ce que nous sommes convient. C’est lui qui éclaire notre lampe et qui porte un regard sur qui nous sommes. Et si être prévoyants c’était entrer sans crainte et sans masque dans la confiance du Seigneur, de ne pas avoir peur de cet époux qui vient, de l’Agneau, celui qui précisément « enlève les péchés du monde ». Car il n’a qu’un seul désir, c’est de nous sauver, c’est de nous faire entrer dans ses noces, de nous épouser… mais il ne peut rien faire de ceux qui veulent se sauver par eux-mêmes ou pire acheter leur salut.
Dans l’eucharistie, nous n’avons aucun mérite à faire prévaloir, nous sommes de ces mendiants de l’amour et de la grâce de Dieu. Humblement, approchons-nous de l’eucharistie pour nous laisser illuminer par le Christ. Amen.