6e dimanche du temps ordinaire C – 13 février 2022
Jr 17, 5-8 – Ps 1 – 1 Co 15, 12.16-20 – Lc 6, 17.20-26
Homélie du P. Franck Gacogne
Prenons l’exemple d’une famille qui traverse une importante épreuve. Volontairement je vous propose des exemples différents : un chômage qui dure, l’incendie de la maison avec tous les souvenirs, ou encore la naissance d’un enfant avec un handicap. Peut-être que nous avons vécu l’une de ces situations. En tout cas, je suis sûr qu’il nous est à tous arrivé de rencontrer des familles qui ont été confrontée à l’une d’elle. Ne vous est-il jamais arrivé d’être déconcerté par le détachement de certaines de ces personnes, refusant de céder à toute tentation de catastrophisme, capable de prendre du recul par rapport à l’événement, capable de se recentrer sur l’essentiel, capable de faire surgir de l’enthousiasme et de se projeter en avant ? Certain diront facilement : « oui, mais ce sont des baba cool, ils ne se rendent pas compte des choses, ils n’ont pas les pieds sur terre », d’autres diront peut-être : « Ô vous savez, ils peuvent se le permettre » sous-entendu, il y a de l’argent dans la famille pour soutenir. Mais, nous le savons ce n’est pas toujours vrai.
Il y a en effet des personnes qui dégagent d’elles-mêmes une sérénité à toute épreuve, parce qu’elles sont capables d’extirper la racine même du bonheur au milieu d’un magma de préoccupations et de tuiles qui leur tombent dessus. Et cette racine là, prend les noms de sincérité, authenticité, foi, espérance, vérité. Ce bonheur qu’ils cherchent et qu’ils offrent, c’est tout simplement apprécier le fait d’être là ensemble, de pouvoir partager en profondeur, c’est être capable de discerner l’essentiel du secondaire, c’est goûter l’ordinaire du quotidien et le trouver magnifique, c’est pouvoir dialoguer avec de vrais amis au cœur à cœur, se partager le sens de nos choix de vie, et en quoi ils nous passionnent. Vous avez remarqué que dans cette description je n’ai parlé ni d’argent, ni de pouvoir, et pourtant, nous en sommes bien persuadé, ces attitudes conduisent à un bonheur profond et durable. Est-ce que ce ne serait pas précisément cela les béatitudes ?
Les disciples de Jésus ne sont-ils pas démunis et détachés, eux qui ont tout quitté pour le suivre ? C’est à eux que Jésus s’adresse quand il leur dit : « Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous ! » Heureux, parce que conscient de cette pauvreté, ils mettent toute leur confiance en lui, c’est lui leur refuge : le Royaume de Dieu est déjà aujourd’hui leur trésor. Jésus regarde ses disciples qui ont tout quitté pour le suivre et il les déclare heureux. Pour le moment, ils n’ont plus rien. Plus d’argent, plus de métier et même plus de famille, mais en suivant Jésus, les disciples expérimentent un bonheur profond. Ce bonheur n’est pas sans difficultés, Jésus leur dit qu’il y aura des oppositions, même des persécutions, mais en tenant bon, ce bonheur qui consiste à choisir Dieu c’est aujourd’hui qu’ils le vivent et c’est pour la vie éternelle qu’il leur est promis. Je rapprocherai volontiers cela de la démarche de jeunes adultes qui décident de se marier : dans cette décision forte, ils font des concessions, ils doivent renoncer à une certaine autosuffisance, mais s’ils le font, c’est parce qu’ils font aussi le pari que le bonheur qu’ils expérimentent aujourd’hui peut durer toute leur vie, et ils veulent y inviter le Christ pour leur donner la capacité de durer.
A l’inverse, voilà Jésus attristé devant une foule. Des personnes qui n’attendent plus rien parce que tout leur est donné, une foule empêtrée dans la fabrique de besoins qui ne semblent jamais lui suffire : jamais assez d’argent, jamais assez de biens. Jésus en est triste pour eux, il le leur signifie et il les plaint. Le plus gros obstacle au bonheur pour Jésus, c’est la richesse. Comment entendre une telle contradiction aujourd’hui où la question des fins de mois est préoccupation pour beaucoup ? Cela semble défier le bon sens ! Et pourtant, nous savons que l’argent est rarement facteur de lien, de dialogue et d’échange, il sert parfois plus à fermer qu’à ouvrir, il est souvent synonyme de repli et d’individualisme, et même quand il est donné, il n’échappe pas au risque de l’assistanat ou de l’asservissement. Ce sont les fameux pièges de la richesse dont St Luc met souvent en garde le lecteur dans son évangile.
Comprenons-nous bien, Jésus ne déclare « malheureux » personne au sens ou il lui infligerait une malédiction. Non, il leur dit « Quel malheur pour vous si ». Jésus ne fait qu’un constat, et il veut leur dire que les choix qu’ils font ou qu’ils vont faire vont contribuer, ou non, au vrai bonheur qui est d’expérimenter la vie de Dieu. Les béatitudes nous disent ce qu’est la vie et ce qu’est la mort. La vie ne réside pas dans le fait d’être pauvre et la mort d’être riche. Non, ce serait trop simpliste ! Mais Jésus nous dit que celui qui est pauvre en amitié, en relation, en argent peut-être, en connaissance, en santé… celui-là a besoin de Dieu et des autres pour vivre, pour s’épanouir ; alors que celui qui est riche de tout cela n’a besoin de personne. C’est cela la mort, n’avoir besoin de personne !
Comme ces disciples et cette foule, nous voilà placé devant des choix à faire, et déjà Moïse dans le livre du Deutéronome (Dt 30, 19) le signifiait bien clairement : « je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance. ». Amen.