2ème dimanche de Carême C – 13 mars 2022
Gn 15, 5-12.17-18 – Ps 26 (27) – Ph 3, 17 – 4, 1 – Lc 9, 28b-36
Homélie du P. Michel Quesnel
« Malheureux ceux qui ne pensent qu’aux choses de la terre… » On pourrait ajouter cette lamentation à celles que Jésus prononce dans l’évangile de Luc, après les Béatitudes. Ici, c’est l’apôtre Paul qui fait cette déclaration, en écrivant à ses chers Philippiens, une Eglise qu’il a fondée et à laquelle il est très attaché au plan affectif.
Pourquoi les gens qui ne pensent qu’aux choses de la terre sont-ils malheureux ? Parce que leur horizon est borné. Paul ne demande pas de s’évader de la terre. C’est là que nous vivons et c’est là que nous avons à agir. Mais il n’hésite cependant pas à déclarer : « Nous, nous avons notre citoyenneté dans les cieux. » On pourrait même traduire, en un langage plus moderne : « Nous, nous avons notre nationalité dans les cieux. » Cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas français… ou d’une autre nationalité bien terrestre. Les Ukrainiens le savent bien, eux que leur appartenance nationale expose aux exactions les plus atroces d’un homme qui se comporte en tyran sanguinaire.
Je me rappelle une discussion que j’ai entendue entre quatre étudiants, il y a quelques mois. Dans ce groupe de quatre amis, tous français et tous chrétiens, ils se demandaient : « Es-tu plus français que chrétien ou plus chrétien que français ? » Les réponses n’étaient pas les mêmes. Certains se sentaient plus français que chrétiens, et d’autres se sentaient plus chrétiens que français. Je ne sais pas ce qu’aurait été ma réponse quand j’avais leur âge. Mais maintenant, elle serait claire. Je suis chrétien avant d’être français. Cela ne m’empêche pas d’aimer ma patrie, mais elle fait partie des choses de la terre.
Les textes bibliques de ce 2ème dimanche de Carême nous invitent à prendre une juste distance par rapport aux réalités terrestres dans lesquelles nous sommes impliqués. A Abraham, Dieu promet une descendance nombreuse, et il lui donne un pays en héritage. Mais l’essentiel du passage, est plutôt dans cette phrase plusieurs fois citée par l’apôtre Paul : « Abraham eut foi dans le Seigneur, et le Seigneur estima qu’il était juste. » La foi d’Abraham l’ajusta à son Dieu, et il devint ainsi le père de tous les croyants. Les Juifs, les chrétiens et les musulmans se déclarent enfants d’Abraham, quelle que soit la partie du monde dans laquelle ils habitent.
Quant au récit de la Transfiguration rapporté par l’évangile de Luc, il fait immédiatement suite à la première annonce de la Passion. Au plan terrestre, Jésus vient de déclarer qu’il sera perdant. Cela a un côté insupportable pour ses disciples. Trois d’entre eux, Pierre, Jacques et Jean, ont le privilège de découvrir que sa vie terrestre n’est pas le tout de son existence. Jésus est en relation familière avec Moïse et Elie, deux grands prophètes des temps anciens. Il est illuminé d’une clarté incomparable. La voix du Père déclare à son propos : « Celui-ci est mon Fils. »
La Transfiguration est alors une sorte de fenêtre ouverte sur la résurrection future de Jésus. Pierre, Jacques et Jean seront horriblement malheureux de la mort de leur maître, mais cette mort ne sera pas le dernier mot de son histoire. Jésus est destiné à la gloire. « Ne fuyez pas sa Passion », affirme le Père. « Ecoutez-le » : il vient de vous annoncer sa mort atroce. Mais l’horizon est plus ouvert qu’un corps agonisant suspendu au bois du supplice.
Quelles conséquences tirer de ces réflexions dans notre façon de vivre le Carême ?
Souvent, nous nous contentons de mesures purement terrestres : un peu de jeûne, l’abstinence de viande le vendredi, quelques gestes de générosité supplémentaires par rapport à ceux que nous faisons habituellement…
Mais quelles mesures pouvons-nous prendre pour élargir notre horizon, comme Paul le conseille aux Philippiens, comme Dieu le demande à Abraham, comme la scène de la Transfiguration peut l’inspirer à Pierre, Jacques et Jean ? Il me semble important de replacer notre nationalité dans les cieux. Non seulement d’oublier un peu que nous sommes français (ou d’une autre nationalité terrestre) ; mais de nous dire que les Ukrainiens, les Iraquiens, les Syriens, les Tchadiens, sont des frères avant d’être des étrangers.
Et cette nationalité céleste, il est important de l’alimenter par une prière soutenue, nettement plus longue que nos prières habituelles. Pendant les minutes que nous consacrerons à Dieu et dans lesquelles nous vivrons en intimité avec lui, nous n’entendrons sans doute pas une voix audible venant des cieux. Mais les moments passés avec Dieu et la fréquentation de la Bible nous aideront à tenir compte de la parole prononcée par Dieu le Père : « Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi. Ecoutez-le ! »