5e dimanche de Pâques C – 15 mai 2022
Ac 14, 21b-27 – Ps 144 (145) – Ap 21, 1-5a – Jn 13, 31-33a.34-35
Homélie du P. Franck Gacogne
Nous sommes au cours du dernier repas de Jésus dans l’Evangile de Jean. Jésus vient de laver les pieds de ses disciples pour leur montrer qu’il est venu comme serviteur et pour les inviter à se mettre au service les uns des autres. La phrase centrale de l’évangile que nous entendons aujourd’hui, vous la connaissez bien : « comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres ». C’est souvent cette phrase-là qui nous vient à l’esprit quand nous sommes interrogés sur ce que Jésus nous dit de plus important, et nous avons raison de la donner.
Jésus donne ce commandement qualifié de « nouveau » entre l’annonce de la trahison de Judas qui quitte les lieux, et l’annonce du reniement de Pierre juste après ce passage. Entre ces deux annonces douloureuses qui vont l’abandonner, Jésus leur dit encore que sa vie leur est donnée. Pourtant, cette recommandation : « aimez-vous les uns les autres », ce ne sont pas les évangélistes qui l’ont inventé, ni Jésus d’ailleurs. Rien de bien nouveau dans ce commandement ! L’amour de Dieu et l’amour du prochain existent dans l’ancien Testament, ce commandement était connu de tous les juifs au temps de Jésus, il existe aussi dans bien d’autres textes qui ne sont pas de la Bible. C’est un commandement, ou disons une ligne de conduite qui est énoncée dans quasiment toutes les religions, toutes les fraternités, c’est l’attitude recherchée sincèrement par les membres de très nombreuses associations… Eh bien tant mieux ! Pour qu’il ne manque jamais d’amour dans notre monde, réjouissons-nous que cette recommandation ne soit pas la propriété ou l’exclusivité des chrétiens. En revanche, nous avons aussi entendu ceci : « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » Autrement dit, rien, absolument rien de notre foi chrétienne et de notre pratique n’aura crédibilité si nous ne vivons pas d’abord ce commandement radicalement et sans réserve.
Et pourtant, il y a bien quelque chose de tout à fait nouveau dans ce que dit Jésus, car il y a ce « comme » : « Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres ». Ce « comme » ne signifie pas qu’il faille reproduire exactement tous les faits et gestes de Jésus, mais ce « comme » nous rappelle que Jésus est le fondement sur lequel nous pouvons nous appuyer. Aimer comme Jésus, c’est-à-dire en sachant puiser en lui, en sachant compter sur lui. Ce « comme » indique un préalable, un référentiel, qui nécessite de commencer par lire l’Evangile, pour précisément y découvrir comment Jésus nous aime. Nous ne pouvons pas aimer comme lui si nous ne cherchons pas à lire et méditer dans l’Evangile la manière dont il nous a aimé. Aimer comme Jésus, ce n’est pas rechercher la gloire des hommes, mais la recevoir de Dieu.
Comment ce passage se termine-t-il ? : « ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples… » c’est d’aller à la messe tous les dimanches ! Non ? Jésus ne dit pas cela ? Bien sûr que c’est important à condition que notre pratique eucharistique, notre pratique liturgique soit confirmée par notre pratique de l’amour fraternel ou qu’elle y conduise, sinon elle est un contre témoignage, elle n’est qu’un cuivre qui résonne. « Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres ». Qui sont les autres que je peux aimer, c’est un peu flou. Le prochain que je peux aimer, ce n’est pas la prochaine personne que je déciderai de rencontrer, (car cela peut ne jamais arriver) le prochain, c’est celui dont je suis le plus proche : mes parents, mes enfants, mon conjoint, mes amis, mes collègues, mes voisins. Jésus ne choisit pas ceux qu’il voudrait aimer. Il lave les pieds de tous ses disciples, y compris ceux de Pierre et de Judas.
Nous célébrons l’eucharistie pour nous nourrir de la Parole de Dieu et du pain de vie. Non pas pour nous mettre à part, ni pour former un club d’initié de gens qui savent, mais pour puiser à la source, et pour manifester que le Christ est Bonne Nouvelle dans nos actes quotidiens. Avec ce commandement nouveau d’aimer comme Jésus, un champ de liberté inouï s’offre à nous. Alors nous pouvons accueillir les recommandations d’un saint Augustin disant : « aimes, et ce que tu veux, fais-le ! », ou bien d’un frère Roger de Taizé qui actualise cette formule en disant : « Aimes, et dit le par ta vie ». Amen.