33e dimanche du temps ordinaire A – 15 novembre 2020
Pr 31, 10-13.19-20.30-31 – Ps 127 (128) – 1 Th 5, 1-6 – Mt 25, 14-30
Homélie du P. Franck Gacogne
Les sommes qui sont données par cet homme qui part en voyage sont absolument énormes, car un seul talent correspondrait à environ 20 ans de salaire ! On a l’habitude de dire que cet homme de la parabole représente Dieu. Je pense que l’on a raison de le dire, mais quelqu’un parmi nous a-t-il déjà reçu de l’argent de Dieu ? Qui plus est, des sommes aussi astronomiques ? Non, bien sûr ! Peut-être que cela veut donc nous dire deux choses, d’une part que ce qui est appelé « talent » dans la parabole n’est pas de l’argent pour nous qui la lisons aujourd’hui, mais d’autre part qu’il s’agit quand même de quelque chose d’extrêmement précieux et d’important. Qu’est-ce que Jésus peut donc nous donner de si essentiel ? La vie, la foi, la capacité d’aimer, ce pour quoi nous sommes doués… « Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance… » (Jn 10, 10) nous dit Jésus dans l’évangile de Jean.
Souvent, et à raison, on est étonné par la réaction du maître de cette parabole, parce qu’on se dit que le troisième serviteur n’a rien fait de mal, il a seulement eu peur de mal faire. Il a caché ce talent qui n’a rien rapporté, mais il ne l’a pas perdu non plus ! C’est vrai. Mais ce troisième serviteur se trompe pour au moins deux raisons. D’abord parce qu’il prend et il traite le maître comme s’il était un patron impitoyable et d’emblée, il le juge dur et même malhonnête, puisqu’il l’accuse de moissonner et de ramasser sur des terres qui ne lui appartiennent pas ! Par ces mots, il l’insulte. Ensuite ce troisième serviteur se trompe parce que s’il ne s’agit pas d’argent, il ne pouvait de toute façon pas le perdre ! Il s’agit d’un don, il s’agit de soi, de ce que l’on est. Alors, il n’y a alors rien à perdre mais il y a tout à gagner de vivre et de déployer ce que l’on a reçu, ce que l’on est. Vous savez, c’est comme dans une famille, quand la maman gronde son enfant qui lui répond, « mais maman, je n’ai rien fait ! ». Et elle de lui répondre : « Eh bien c’est justement ce que je te reproche : de n’avoir rien fait ! ».
La vie, c’est mettre en œuvre de ce que l’on a reçu et ce que l’on est, et heureusement, nous ne sommes pas des clones : nous avons reçus des talents différents pour que chacun puisse exister d’une façon unique et irremplaçable. Ne pas le faire, c’est s’exclure soit même, c’est mourir. Rendre autant que l’on a reçu comme les deux premiers serviteurs, ce n’est pas être spécialement performant, c’est simplement accueillir la confiance donnée par le Seigneur, et en vivre, la partager dans sa relation aux autres. Nous avons tous reçu des talents, et nul n’est est dépourvu. Parfois, il est nécessaire d’aider des personnes à repérer ce qu’elles sont capables d’être ou de faire, mais une fois que c’est fait, il ne faut surtout pas faire à leur place sinon, on leur vole leur talent, ce qui est encore plus grave que de l’enfouir.
En cette journée où nous sommes plus particulièrement sensibilisés sur l’attention aux plus pauvres, j’aimerais rappeler un événement qui s’est passé il y a 4 ans : 200 personnes du quart-monde se sont rendus à Rome pour rencontrer leur frère, le pape François. Voici quelques-uns des mots qu’elles lui ont adressés :
« Suite au Père Joseph Wresinski, qui a créé ATD quart Monde, nous croyons comme lui que si nous voulons une église universelle, il faut commencer par y inviter les plus pauvres et les plus rejetés.
La trop grande pauvreté, la misère, détruit les personnes et déchire les familles. La misère nous prend nos enfants qui sont souvent placés dans des institutions ou des familles d’accueil et nous ne sommes plus que des parents à temps partiel. On nous vole l’éducation de nos enfants. C’est notre plus grande souffrance. On bataille sans cesse dans notre vie. « Si je n’avais pas la foi, je serais mort »
Et malgré tout, dans nos groupes, nous avons le souci constant de toujours aller chercher celui qui n’est pas là, le plus pauvre, le plus isolé, le plus oublié et de l’aider. Jésus va souvent dans les endroits isolés auxquels personne ne fait attention, dans les endroits perdus. C’est là que Jésus se trouve. On a peur des pauvres parce qu’on ne les connait pas. C’est pour cela qu’il faudrait organiser beaucoup de rencontres où nous serions mélangés.
Nous savons, Pape François, que nous partageons avec vous ce souci des plus pauvres. Nous vous remercions de rappeler sans cesse que les pauvres sont les bien-aimés de Dieu et que leur présence et leurs paroles sont importantes.
Nous voulons une Eglise pour tout le monde, où les plus pauvres seront les premiers invités, pour être sûr de n’oublier personne. Nous vous remercions de donner l’exemple. Vous allez dans les petites rues et les quartiers dangereux, tout le monde voit que vous n’avez pas peur des pauvres, cela nous encourage beaucoup et nous redonne de l’honneur.
Pour bien vivre, on a besoin d’autre chose que du matériel : on a besoin d’avoir une place et d’exister avec les autres. On a besoin de chaleur dans le cœur. Nos cœurs ont faim de la parole de Dieu.
Nous voudrions vous demander : De ne pas oublier de nous donner une mission. Même pauvres, nous pouvons recevoir une mission et devenir serviteurs de l’Evangile. De rappeler à l’Eglise de France que Jésus souffre à la porte de nos églises si les pauvres sont absents. »