Mercredi des Cendres B – 17 février 2021
Jl 2, 12-18 – Ps 50 (51) – 2 Co 5, 20 – 6, 2 – Mt 6, 1-6.16-18
Homélie du P. Franck Gacogne
Vous avez entendu le prophète Joël ? « Revenez à moi de tout votre cœur… Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements ». Quand les jeunes disent aujourd’hui « ça déchire grave ! », c’est que ce qu’ils sont en train de vivre les rejoint et est vraiment très fort pour eux.
Aujourd’hui, on ne voit pas bien qu’est-ce qui pourrait nous amener à déchirer nos vêtements, mais dans Orient ancien, au temps des prophètes, le jeûne et le repentir étaient accompagnés de signes visible et manifestes pour les hébreux : vêtements de deuil, poussière sur la tête, gémissements, lacération des vêtements etc… Nous en avons de multiples exemples dans l’Ancien Testament.
Le prophète Joël mêle deux thèmes : celui de la conversion qui se manifeste dans le dépouillement, et celui du « retour » au Seigneur. Cela suppose soit que nous l’ayons quitté, soit que lui nous ait quitté. En fait, ces deux mouvements sont simultanés, Joël utilise le verbe « revenir » pour l’homme comme pour Dieu : Joël évoque un retour réciproque de l’homme vers Dieu et de Dieu vers l’homme. Pour illustrer cela, nous avons tous en tête la parabole de l’enfant prodigue ou ce fils qui revient est surpris de voir son Père courir à lui. Oui, le Carême est un temps qui nous est donné pour prendre les moyens, nous laisser surprendre et finalement nous réjouir de ce rapprochement et de cette rencontre.
Six siècles avant Jésus-Christ, le prophète Joël invite déjà à s’éloigner de ses préoccupations matérielles non pas en le montrant ostensiblement à l’extérieur, mais en le vivant réellement à l’intérieur. Voilà pourquoi il reprend le signe de la déchirure, mais en invitant à « déchirer non pas ses vêtements, mais son cœur ».
Déchirer son cœur, voilà quelque chose de fort. Le cœur est symboliquement le centre de gravité, et biologiquement le centre de vitalité de la personne. Décider de le « déchirer », c’est l’ouvrir et donc s’ouvrir, c’est le rendre perméable et donc se rendre accessible à la rencontre authentique de l’autre. Décider de le « déchirer », c’est aussi choisir d’entreprendre une conversion réelle et profonde de tout son être. Le déchirer, c’est laisser le Seigneur y entrer pour me regarder authentiquement non pas avec un regard accusateur, mais libérateur : il n’a qu’un seul désir, y transfuser sa vie, mais jamais sans mon consentement.
Déchirer son cœur, voilà l’attitude qui nous est proposée pour cette entrée en carême. Attention, elle n’est en rien triste ou morne bien au contraire, la déchirure laisse passer la vie, elle laisse percevoir la lueur de Pâques que le carême prépare. Comme le dit le pape François, ne soyons « pas des chrétiens qui semblent avoir un air de carême sans Pâques », avançons résolument et joyeusement le cœur ouvert à tous pour que le carême déchire ! Amen.