Ascension du Seigneur A – 18 mai 2023
Ac 1, 1-11 – Ps 46 (47) – Ep 1, 17-23 – Mt 28, 16-20
Homélie du P. Franck Gacogne
Très curieusement, catholiques, nous avons l’audace de qualifier de « présence réelle » celui que nous ne pouvons ni voir, ni entendre, ni toucher, et ce depuis près de 2000 ans ! En effet, la fête de l’Ascension marque ce point, non pas de « non-retour » puisque précisément Jésus annonce bien un retour, mais l’Ascension marque ce commencement d’un mode de présence que les chrétiens sont bien les seuls à qualifier de « réelle » quand tous les autres nomment cette situation « absence ». Comment comprendre alors cette ambiguïté et ce paradoxe de notre foi ?
Il s’agit bien de foi, c’est-à-dire de la confiance en une promesse de Jésus formulée dans les toutes dernières paroles que l’évangéliste Matthieu met dans sa bouche : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ». Après avoir dit à ses disciples qu’il était de leur intérêt qu’il s’en aille (Jn 16, 7), après nous avoir déclaré heureux de croire sans voir (Jn 20, 29), il nous faut bien essayer de percevoir en quoi notre situation est un avantage et comment Jésus y est présent.
Un avantage, parce que Dieu choisi un mode de présence qui ne s’impose pas mais qui se laisse choisir, un mode de présence qui suscite une adhésion libre. Dans tous les récits qui relatent les manifestations de Jésus à ses apôtres après sa résurrection, l’évangéliste glisse toujours un indice pour nous signifier que même pour eux qui l’ont pourtant accompagné plusieurs années sur les routes, le ressuscité ne veut pas s’imposer comme tel, et le doute reste possible. C’est encore le cas à la fin de l’évangile, alors que ses onze plus proches se sont rendus en Galilée : « Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes ». Qui d’entre-nous au sein d’un groupe qu’il anime ou même au sein de sa propre famille ne s’est jamais senti un peu comme une bête curieuse après avoir lancé à tous « Jésus est là avec nous » ? Suscitant regards amusés, souvent sceptiques, et parfois moqueurs. En effet, parce que la première expérience que nous faisons tous est bien plutôt celle de son absence : il n’est ni observable, ni palpable, ni saisissable, et même quand je me tourne vers lui dans la prière, je fais l’épreuve de son silence. Cette absence ressentie, pourquoi la décrier ou la nier ? Elle n’est pas déni de l’existence de Dieu, mais elle est le signe que Jésus se veut maintenant avec nous autrement : en Esprit, par son Esprit comme il nous l’a promis et manifesté le jour de la Pentecôte. C’est ainsi et de cette manière qu’il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin du monde.
Je crois que la perception d’une certaine « absence de Dieu » nous fait prendre conscience de notre liberté mais aussi de notre responsabilité, car Jésus lui-même nous indiquent dans quelles circonstances il sera là : « là ou deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20). Ces circonstances sont donc à créer, à produire : Ce sont ces 2 ou 3 personnes-là qui au nom de leur foi en lui vont manifester et même réaliser sa présence par sa Parole, le partage, le geste, l’action, le témoignage ou la prière qu’ils vont vivre ensemble et pour ceux qui les entourent. Par exemple, dans l’évangile de ce jour, Jésus envoie ses disciples en mission pour baptiser et pour être témoin de la Bonne Nouvelle. C’est bien à travers et grâce à cette mission d’Eglise que Jésus se rend présent, nous lui donnons un visage. Mais le Seigneur ne restreint pas sa présence à son Eglise ou à ceux qui ont la foi, il se déclare lui-même déjà là chez le petit, le faible, le pauvre, le délaissé, le malade, l’étranger (Mt 25). Cette fois-ci, il n’y a plus à créer les conditions de sa présence puisqu’il est déjà là, avec un visage souvent défiguré. Le défi est dorénavant pour nous de ne pas rater ou esquiver les occasions de le rencontrer et de le servir. Nous pouvons penser à la parabole du « bon samaritain » (Lc 10, 29-37)
Les premiers versets de l’évangile de Matthieu parlent de la Genèse, des origines de Jésus ; et les derniers évoquent la fin du monde : ainsi Jésus assume toute l’histoire humaine. Dans les premiers versets, il est nommé Emmanuel c’est-à-dire « Dieu avec nous », et dans les derniers versets, il nous fait lui-même la promesse d’être avec nous : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde »
Seigneur, que nous puissions à la fois te rendre présent dans nos rassemblements en ton nom, mais aussi te servir là où tu as choisi de l’être. Tu nous demandes de faire des disciples, il nous faut pour cela l’être déjà nous-mêmes en écoutant ta Parole et en la mettant en pratique. Amen.