Fête de la Toussaint C – 1er novembre 2022
Ap 7, 2-4.9-14 – Ps 23 (24) – 1 Jn 3, 1-3 – Mt 5, 1-12a
Homélie du P. Franck Gacogne
J’entends souvent : le secret du bonheur, c’est de vivre entourés, dans un groupe où l’on se connaît, où l’on se comprend. Un lieu où l’on partage de mêmes valeurs.
C’est vrai, c’est très important d’avoir un groupe d’amis dans lequel on se sent bien intégrés et compris, avec lequel on peut prendre toute sa place et être considéré, c’est ainsi que l’on peut s’épanouir. Jésus lui-même vous le savez s’est constitué un groupe de proches, les 12 apôtres. Mais, savez-vous, qu’aucun d’entre eux n’était compatible, qu’aucun d’entre eux ne se serait choisi s’ils avaient dû le faire, car ils n’avaient rien en commun. Imaginez Matthieu, le lettré, en costard cravate à son bureau de publicain devant faire équipe avec Pierre ce brave pécheur rustique et fougueux n’ayant sans doute jamais mis les pieds à l’école. Et pourtant avec la béatitude « heureux les pauvres de cœur », Jésus semble vouloir leur dire à tous, vous serez profondément heureux si vous ne vous suffisez pas à vous-mêmes. Quel est le propre du pauvre, qui-plus-est les pauvres de cœur au sens large, si ce n’est d’exprimer un besoin, une attente, de manifester le manque de quelque chose ou de quelqu’un… Si Jésus déclare heureux celui qui est pauvre, c’est parce qu’il exprime un manque c’est justement parce qu’il n’est pas blindé, accomplit et déjà comblé de tout, donc fermé. Celui qui exprime un manque dit un désir, signifie qu’il est ouvert pour accueillir. Ouvert à la différence qui complète, ouvert à l’inattendu qui surprend, ouvert à Dieu qui offre son Royaume, c’est-à-dire toute sa vie, son amour gratuit. Heureux ce pauvre de cœur d’être en attente, il sera visité, mais jamais le Christ ne s’impose à celui qui ne veut pas le recevoir.
J’entends souvent dans les médias que sont heureux ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent. Ceux qui ne connaissent pas l’échec ni le chômage, ceux qui ont un plan de carrière et qui peuvent le mettre en œuvre, ceux qui bénéficient d’un travail qui leur procure le moyen de s’épanouir, et de vivre sans aucun souci matériel.
Quelle chance quand tout nous réussit et qu’il n’y a pas à se soucier du lendemain. Pourtant il y a des personnes autour de nous, et dans cette assemblée sans doute qui vivent de vraies détresses. « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ». Mais par qui et quand ? Oserions-nous dire à ceux qui ont planté leur examen, à ceux qui viennent de perdre un proche qu’ils ne doivent pas s’en faire parce qu’ils seront un jour consolés, sous-entendu, par Dieu au dernier jour ! Ils seront consolés au dernier jour, j’en suis convaincu ; mais dès aujourd’hui ils le peuvent bien sûr, à condition que nous prenions ce rôle de consolateur. Dieu ne court-circuite pas les hommes, il n’agit pas sans nous. Ils seront consolés à condition que nous soyons avec eux dans l’empathie, dans la compassion avec une oreille qui écoute, des mots qui réconfortent, des gestes qui soulagent. Ces mots, ces gestes que le Christ lui-même posent grâce à ceux et celles qui veulent bien lui prêter leurs mains, leur bouche… nos mains, notre bouche.
J’entends souvent dans les médias que sont heureux ceux qui vivent en paix avec eux-mêmes et avec les autres.
Oui, c’est certain, c’est essentiel et c’est profondément ce que chacun recherche. Mais la béatitude que nous propose Jésus est formulée ainsi : « Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu ». Les « artisans » de paix, c’est-à-dire non seulement ceux qui ont la chance de bénéficier de cette situation, mais surtout ceux qui ont l’audace de la bâtir, de la construire, de l’entretenir là où elle fait défaut. Comme toutes les béatitudes, celle-ci invite l’homme à se dépasser. « L’artisan » ne coule pas d’une traite un bloc de béton, non, il ciselle minutieusement et pas à pas la pierre, parce que la paix réelle au sein d’une famille d’une institution ou d’un pays s’élabore par volonté et par petites touches progressives. Elle naît et grandit dans un climat de confiance au fil des rencontres, des dialogues et d’un parti pris d’espérance posé sur tout homme… « Ils seront appelés fils de Dieu », parce que c’est l’attitude même de Jésus, sa façon de faire. C’est sa marque de fabrique !
Je n’ai parcouru ici rapidement que trois des neuf béatitudes proposées par Jésus, mais vous l’avez compris, elles sont toutes de la même trempe. Le texte des béatitudes n’est pas une pièce de musée que l’on vient contempler un instant avant de changer de salle et de passer à autre chose ; ce n’est même pas une page de la Bible comme les autres. Parce que lire les béatitudes, c’est voir le Christ surgir des pages de notre Bible et nous crier personnellement : « Allez, en avant ! » car telle est la meilleure traduction de « heureux ». Les béatitudes, c’est Jésus-Christ en actes qui nous appelle à être et à faire comme lui pour un bonheur insoupçonné et durable, celui de devenir enfant de Dieu.
Dans son exhortation sur la sainteté, le pape François nous dit fermement que la sainteté, c’est sortir pour « laisser le don reçu de Dieu se traduire dans le don de nous-mêmes aux frères » (GE 104), la sainteté n’a pas d’autre chemin que « l’amour, la charité pleinement vécue » (GE 21). Tous saints, en avant chers frères et sœurs ! Amen.