7e dimanche du temps ordinaire C – 20 février 2022
1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23 – Ps 102 (103) – 1 Co 15, 45-49 – Lc 6, 27-38
Homélie du P. Franck Gacogne
« J’ai tout fait, j’ai tout eu : mon baptême, ma première communion, ma deuxième communion, ma confirmation ! » Je rencontre souvent des personnes qui, pour se présenter en vue d’un futur mariage, pensent indispensable de me dresser une check-list de leur identité catholique.
La question centrale n’est pas savoir si j’ai tout, elle n’est pas de savoir ce qu’a été ma foi hier, Jésus veut savoir ce qu’elle est et ce que j’en fait aujourd’hui, il veut savoir ce que je veux qu’elle devienne demain. Le pape François nous le dit vigoureusement dans son exhortation sur la sainteté quand il nous demande de : « renoncer à faire de notre vie chrétienne un musée de souvenirs » (GE 138). C’est pourquoi les recommandations que Jésus nous donne dans cet évangile nous invitent à regarder devant. Ces recommandations nous sont toutes accessibles mais resteront inépuisables, de sorte que personne ne puisse jamais s’enorgueillir de les avoir déjà accomplies : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent… Donne à quiconque te demande, et à qui prend ton bien, ne le réclame pas… Ne jugez pas, ne condamnez pas, pardonnez… » etc…
Qui est capable de cela ? Personne totalement, en revanche, tout le monde est capable et tout le monde est appelé à se mettre en route sur ce chemin du radicalisme évangélique. L’objectif que Jésus nous donne est toujours devant, désirable, mais insaisissable. C’est ainsi que cet idéal évangélique me permet pas à pas d’avancer vers lui, de m’en approcher sans jamais l’atteindre pour ne pas le capturer et être quitte. C’est de cette façon-là que ma foi est active, que je suis en route, et que j’exerce mon baptême. Parce qu’être chrétien n’est pas un état accompli et achevé le jour de son baptême. Bien au contraire, être chrétien est un mouvement, qui doit se vérifier aujourd’hui et demain, dans les choix et les engagements quotidiens que je déciderai au nom même de l’évangile. « Notre culte plaît à Dieu… quand nous laissons le don reçu de Dieu se traduire dans le don de nous-même aux frères » (GE 104)
Nous entendrons des personnes dire : « il n’est pas nécessaire d’être chrétiens pour vivre cette radicalité et ce don de soi-même, des non-chrétiens en font tout autant et même plus ». Bien sûr et tant mieux, heureusement même ! Réjouissons-nous, oui, réjouissons-nous que les chrétiens n’en aient pas le monopole mais ce n’est pas pour autant qu’ils en soient dispensés comme s’ils devaient se démarquer et s’identifier autrement. Au contraire, c’est à cause de cela que l’on entend souvent dire : « ils ne sont pas meilleurs que les autres ! ». Leur spécificité n’est donc pas de chercher à aimer, mais de chercher à aimer « comme » lui : « aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Il y a ce « comme » de Jésus qui nous oblige à aller regarder dans l’évangile la manière dont Jésus a aimé et donné sa vie, afin de faire comme lui. C’est de cette manière-là, dans un aller/retour permanent entre la lecture de l’évangile et sa mise en œuvre que nous vivrons de notre baptême.
Au temps de Jésus, tous les juifs connaissaient bien sûr et mettaient en œuvre les 10 commandements donnés par Dieu à Moïse dans le livre de l’Exode. Sauf pour deux d’entre eux, ils ont tous une formulation négative : « Ne fais pas : tu ne feras pas d’idole… tu ne commettras pas de meurtre… » etc., afin d’exhorter le croyant à s’abstenir de faire le mal. Cette attitude pouvait se résumer par une règle d’or que l’on trouve dans le livre de Tobie énoncée comme ceci : « ne fais à personne ce que tu n’aimerais pas subir » (Tb 4, 15). Cela semble être le bon sens commun, mais voilà pourtant que Jésus ne s’en satisfait pas du tout et il opère une révolution en inversant les choses. Car pour lui, c’est un leurre « ne pas faire aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse », c’est s’abstenir et esquiver la relation. Cette formulation négative : « ne fais pas » installe l’homme dans une attitude passive et individualiste de retranchement. Voilà pourquoi dans cet évangile, Jésus nous invite à en vivre la réciproque en nous disant : « Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux. ». Et pour sortir précisément du péché par omission, tous les verbes utilisés par Jésus dans son discours sont des verbes d’action : « aime, prie, présente, donne, souhaite, pardonne ». Cette formulation positive oblige à sortir, à se dépasser, à inventer, à risquer des initiatives pour rencontrer l’autre et l’aimer. Dieu se donne à la hauteur, à la mesure du don que nous faisons de nous-mêmes, le don de Dieu n’a pas de limites, il n’a que celles que nous n’osons franchir. St Bernard aimait dire que « la mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure ». Amen.