4ème dimanche de l’Avent – 22 décembre 2024
Mi 5, 1-4a – Ps 79 (80)2a.c.3bc, 15-16a, 18-19 – He 10, 5-10 – Lc 1, 39-45
Homélie de Éric de Nattes
Deux femmes enceintes ! Elles portent la Parole qui prend corps en elles : parole prophétique, parole du Verbe de la Vie, Parole de Dieu pour toutes les deux.
La Visitation, c’est le mystère de Dieu caché en nous. Marie Le porte dans ses entrailles de mère ainsi que l’Ange le lui a dit et que nous le redisons dans la prière du « je vous salue marie ». Le mystère du cœur, de ce qui s’accomplit en nous, voilé au regard de tous, à peine perceptible. Comment dire ce mystère, comment le rendre palpable… ? Pas d’ostentation dans l’Évangile, jamais ! La naissance du roi des rois se passe dans l’anonymat : une région montagneuse, dans une ville de Judée dont on ne nous dit même pas le nom. Celui de la vie quotidienne. Deux femmes portent la vie en elle. Dieu est là. Il n’a pas besoin de la pompe royale humaine ! Il est la vie elle-même. C’est dans un geste tellement humain que ce mystère se révèle ! Marie ne vient pas pour annoncer Celui qu’elle porte. On pourrait pourtant penser qu’elle est tout à son bonheur d’avoir été choisie. Non, elle vient se réjouir de celui que porte sa cousine. Mais dans ce geste de bienveillance où Marie se projette dans la joie de l’autre, dans la fécondité de l’autre, dans le bonheur de l’autre, et non pas d’abord dans sa joie à elle, son bonheur à elle, sa fécondité à elle, elle annonce en vérité Celui qu’elle porte, et qui se laisse découvrir par Elisabeth. Avec Marie, c’est désormais Dieu qui se déplace vers l’humanité, c’est le Temple du très Haut qui vient à nous, et non plus à nous d’aller vers le Temple de Jérusalem. C’est Dieu qui accomplit son pèlerinage vers nous, et qui vient demeurer, faire demeure en nous, dans notre quotidien. Ce déplacement se fait même, nous dit-on, en toute hâte : c’est dire l’empressement de Dieu d’être à nos côtés. Comment l’amour pourrait-il surseoir ? Il lui faut se donner, c’est sa logique. Il vient mendier d’être accueilli : Elisabeth le comprend, elle qui, par sa salutation, a saisi que c’est le visiteur qui vient élargir l’espace de sa tente, et l’ouvrir à l’infini. Que sa pauvre maison devient temple du Très-Haut. « Comment ai-je ce bonheur…? » Marie salue sa cousine et si je peux jouer sur les mots, lui apporte Le Salut : c’est-à-dire bien plus qu’une Salutation. Dieu vient à l’homme mais avec cette infinie pudeur, douceur qui est la sienne : dans ces gestes du quotidien, mais qu’Il habite du coup, et transcende, qu’Il élargit par Sa présence, à l’infini d’un amour qui déborde alors chacun de nous et qui va nous faire chanter notre magnificat.
Voilà par où Marie est grande. Je voudrais vous citer ici Bernanos : « Son Fils n’a pas permis que la gloire humaine effleurât Marie. Personne n’a vécu, n’a souffert, n’a quitté ce monde aussi simplement et dans une ignorance aussi profonde de sa dignité, d’une dignité qui la met pourtant au-dessus des anges ». Elle peut alors chanter le magnificat en vérité : chant de tout le corps du Christ en elle. Le geste eucharistique que nous allons accomplir est de même nature. Dieu caché dans notre quotidien, dans le pain et le vin du repas, offerts, donnés. « Tu ne voulais ni offrande, ni sacrifice, mais tu m’as formé un corps, alors j’ai dit, voici, je viens pour accomplir ta volonté, mon Dieu. » Dans le mystère eucharistique que nous célébrons, il n’y a aucune distance entre le signe de la Présence du Très-Haut que nous allons partager, dont nous allons nous nourrir dans l’humble aliment donné et reçu, et l’autre signe de sa présence les uns par les autres, où Il se tient mystérieusement caché en nous, en chacun de nous, dans le sein de notre humanité, dans son secret, où il nous faut le reconnaître, et nous réjouir de ce qu’il est en l’autre. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain… » Que nos cœurs tressaillent ! « Comment ai-je ce bonheur que tu viennes jusqu’à moi ? ».