3e dimanche du temps ordinaire A – 22 janvier 2023
Is 8, 23b-9, 3 – Ps 26 (27) – 1 Co 1, 10-13.17 – Mt 4, 12-23
Homélie du P. Franck Gacogne
Quand on dit : tient, ce WE, je me suis promené ! En générale, c’est pour se souvenir d’un temps de loisir et de détente, plutôt qu’un moment difficile. Eh bien, c’est ce verbe que l’on utilise le plus souvent quand on veut découvrir la Bible, on dit que l’on se promène dans la Bible. Il y a des mots que je trouve dans un passage que je ne comprends pas, mais les notes de bas de page ou les « renvois » de ma Bible m’indiquent que j’en trouverai le sens dans un autre livre de la Bible, alors je tourne les pages, je change de livre, et je vais aller voir ; et en effet, cela m’éclaire, mais en même temps, cela me fait découvrir une toute nouvelle histoire que je ne comprendrai à nouveau qu’en allant chercher une réponse encore dans un autre livre avant, ou après. C’est ainsi que l’on découvre la Bible seul, ou bien mieux, dans un groupe. On se promène à travers les livres, et c’est très agréable, car ainsi, on entre dans l’intelligence de la foi, Dieu et l’histoire de son peuple se révèle à nos yeux et à nos oreilles.
Prenons un exemple : aujourd’hui, dans l’évangile de Mathieu, je n’ai rien compris aux noms des territoires : ce n’est pas Zébulon, mais Zabulon, ce n’est pas Naphtaline, mais Nephtali ! Et je suis conduit par ma Bible à aller ouvrir le livre de la Genèse. Et là, au chapitre 35, je découvre en effet que Zabulon et Nephtali sont les noms de deux des douze fils de Jacob qui lui-même s’appelle aussi Israël. Je prends alors conscience qu’avant d’être des pays ou des territoires, ce sont des personnes, et à qui Dieu promet un territoire pour l’éternité (cela explique des choses sur la situation politique et les tensions dans cette région aujourd’hui !). C’est une première découverte très intéressante. Je me promène alors dans le livre des Nombres au chapitre 26, je découvre que 500 ans après, tout le pays va être divisé pour que la descendance de chaque fils de Jacob (Israël) en ait une portion et puisse l’habiter, mais ce n’est que dans le livre de Josué que ces territoires pourront enfin exister, après de multiples batailles, parce que pendant tout ce temps-là, les descendants de ces 12 fils ont vécu en Egypte, toutefois la promesse de Dieu tenait toujours. Alors au moment où Isaïe écrit (500 ans encore après Josué), nous l’avons entendu dans la première lecture, ce territoire existe cette fois-ci, mais il est occupé, attaqué par des ennemis voisins, les assyriens. Voilà pourquoi, dans ce texte d’Isaïe, le peuple attend la lumière, il espère être sauvé.
Je vous propose une deuxième promenade, dans la seconde partie de l’évangile. Jésus se promène, il marche au bord du lac et il voit des pêcheurs en train de travailler. C’est un travail qu’ils connaissent, ils le font depuis toujours. Pourtant, Jésus les appelle pour tout à fait autre chose, c’est une vraie reconversion professionnelle. Jésus les appelle à le suivre pour, avec lui, proclamer la Bonne Nouvelle du Royaume, c’est-à-dire témoigner combien Dieu aime chacun, en particulier ceux qui étaient mis de côté. Comment Jésus fait-il pour les choisir à cette mission ? Jésus a-t-il organisé un casting, des entretiens d’embauche, test d’aptitude, une période d’essai ? Pas du tout, rien de tout cela ! Son choix est complètement hasardeux : il passe, il les voit, il les appelle ! Il fait le pari que toute personne est apte et capable d’être son témoin. Une seule chose est nécessaire, lui faire confiance, et le suivre. Nous ne sommes pas des spécialistes de la Bible et des questions de Dieu, pas plus, mais pas moins non plus que les pêcheurs que Jésus appelle. Pourtant aujourd’hui c’est nous qui sommes dans cette église et qui entendons cet appel, c’est à chacun de nous qu’il est fait. Parce que Jésus, au nom de notre baptême, nous croit capable par nos gestes et nos paroles de témoigner dans le quotidien de l’amour qu’il porte sur chacun.
Voici enfin une dernière promenade ! Dorothée de Gaza, un moine de la première moitié du VIème siècle, raconte cette histoire, en disant qu’elle lui vient d’une image plus ancienne encore. Il demande d’imaginer un très grand cercle tracé au sol avec un compas et un centre. Et imaginez, dit-il, que ce cercle soit le monde, et que le centre soit Dieu. Dans notre église nous sommes aidés grâce ce lustre qui surplombe l’autel comme une immense couronne : le Christ est déjà au centre, imaginons donc alors que chaque lumière du cercle soit une personne. Dorothée de Gaza poursuit en disant que le cercle comporte une multitude de rayons qui sont autant de manières différentes de vivre de chaque homme qui peut se promener sur son rayon. Quand les baptisés désirent s’approcher de Dieu, ils marchent sur leur propre rayon en direction du centre du cercle, et en le faisant, ils constatent que cela les rapproche les uns les autres. Et quand ces mêmes baptisés désirent se rejoindre les uns des autres, ils doivent nécessairement faire le même mouvement et ils constatent que cela les rapproche aussi de Dieu. Ces deux rapprochements sont inévitablement liés car l’un est la conséquence de l’autre et réciproquement. Ainsi en va-t-il de la construction de l’unité dans l’Eglise. Nous sommes au cœur de la semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Si chaque baptisé dans sa propre confession décide de s’approcher du Christ alors il s’approchera nécessairement des autres baptisés. C’est bien de cette façon-là que l’unité se construit : quand chacun ne cherche pas à se démarquer des autres en se réclamant de Pierre, de Paul ou d’Apollos, mais quand au contraire tous reconnaissent qu’au-delà de leur différence, ils ont été plongés dans le mystère du Christ qui se donne à tous de la même manière, c’est-à-dire totalement.
Je crois qu’il n’y a qu’un seul garant de l’unité de la famille chrétienne toute entière, c’est celui qui en est à l’origine : Jésus-Christ, à condition que chacun reconnaisse que tout découle de lui. Amen.