Solennité du Christ Roi de l’Univers A – 22 novembre 2020
Ez 34, 11-12.15-17 – Ps 22 (23) – 1 Co 15, 20-26.28 – Mt 25, 31-46
Échange de chaire : Homélie du P. Antoine Callot (prêtre orthodoxe)
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
Au cours de cette année 2020-2021, les paroisses catholique de Vaise, réformée du Change et orthodoxe de la Sainte Rencontre située à l’église saint Camille ont décidé de mettre en commun et de partager certains événements catéchétiques et liturgiques et notamment de procéder à des échanges de chaire ; c’est pourquoi en tant que prêtre et recteur de la paroisse orthodoxe de la Sainte Rencontre je suis aujourd’hui face à vous ; d’autres échanges sont prévus dans les mois qui viennent avec le P. Franck Gacogne, la Pasteure Edina Poulaï dans les autres lieux de culte que sont le Temple du Change et l’église Saint Camille.
Aujourd’hui pour l’Église catholique s’achève l’année liturgique avec la fête du Christ Roi qui vient la couronner ; dimanche prochain une nouvelle année liturgique s’ouvrira avec le temps de l’Avent et prions le Seigneur que celle-ci se présente dans des conditions sanitaires plus clémentes qu’actuellement, car aujourd’hui, covid oblige, c’est dans une église vide que je prends la parole, face à une caméra qui mon seul témoin.
Le passage de l’Évangile que nous venons d’entendre illustre sous forme d’une parabole ce passage du Credo où nous affirmons qu’“Il reviendra en gloire juger les vivant et les morts“. Il s’agit de la deuxième venue du Christ qui apparaît glorieusement à tous les hommes de tous les temps, vivants et morts, entouré de tous ses anges, assis sur son trône de gloire comme le Roi de l’univers. Ce trône de gloire avait été perçu par de nombreux visionnaires tels Isaïe, Daniel ou saint Jean dans l’Apocalypse. Les puissances célestes sont rassemblées autour du trône, sur lequel est assis le Seigneur. C’est le trône de gloire et de victoire, sur lequel s’est assis le Christ Seigneur après sa victoire et d’où il manifeste sa force et son jugement sur l’ensemble du genre humain.
Il ne s’agit pas là de nous terrifier à l’idée de ce terrible jugement, mais qui d’entre nous n’aurait pas de motifs sérieux pour penser se retrouver dans le lot des condamnés ? Qui d’entre nous pourrait estimer en conscience être digne du Royaume suivant les critères annoncés par le Seigneur ?
Il n’est pas question de nous faire peur, mais de nous rappeler que le sens de notre vie terrestre est avant tout de nous préparer à la vie éternelle, de rechercher le Royaume des Cieux, comme dit Notre Seigneur : “cherchez avant tout le Royaume des cieux et le reste vous sera donné par surcroit“ (Luc 12, 31). Or dans notre société moderne, nous vivons à l’inverse de ce que nous prescrit le Seigneur, nous vivons dans un monde qui a perdu dans une large mesure le sens des vraies réalités, dans un monde où tout est organisé autour de nous comme si seule la vie terrestre comptait, comme si le destin de l’homme était de s’assurer un certain bonheur, une certaine prospérité durant cette vie terrestre, mais dont toute la consistance est celle d’un rêve qui se dissipera, à coup sûr, un jour ou l’autre. Tout le contexte de notre civilisation tend à faire que l’homme, au lieu de se préparer à la vie éternelle, ne songe qu’à la vie présente : le souci d’un bonheur purement terrestre a pris la place du souci évangélique de se préparer à ce don de Dieu qu’est la vie éternelle.
Il faut être conscients du fait que ce n’est pas une sentence divine qui nous attend, mais que c’est nous-mêmes qui nous condamnons, par nos choix, à vivre éternellement dans le néant.
Il y a une tendance aujourd’hui à adoucir la rigueur de cet enseignement et à proclamer : “tout le monde sera sauvé, nous sommes tous des pécheurs pardonnés ! “ Prenez garde, ce n’est pas là l’enseignement de l’Évangile ni celui des saints qui ont donné leur vie pour l’exigence de l’amour de Dieu et des autres.
On peut être surpris au premier abord que le critère essentiel du Jugement dernier soit l’amour des autres, l’amour du prochain. Et l’amour de Dieu, qui nous semble pourtant primordial n’est pas mentionné. Mais c’est que l’amour de Dieu s’accomplit réellement dans l’amour de nos proches, c’est pourquoi on peut les appeler nos frères. Aimer un Dieu qui serait hors de nous-mêmes et de sa création, cela n’a pas de sens. Il n’y a qu’un seul amour et aimer Dieu, c’est aimer cette présence de Dieu qui se révèle au fond de nos cœurs par l’amour et par l’amour de nos frères.
Saint Jean nous dit : “Dieu est amour“ (I Jn 4, 8), c’est là l’essence même de Dieu. Et dans la mesure où l’amour des autres, l’amour véritable nous arrache à notre égocentrisme, c’est à dire à cette disposition intérieure qui nous amène à tout centrer sur nous-mêmes, mais au contraire qui nous fait nous soucier du bien d’autrui et compatir à ses souffrances, eh bien, dans cette mesure même nous aimons Dieu. Car l’amour de Dieu se révèle dans l’amour d’autrui.
Un père du désert disait : “Tu as vu ton frère, tu as vu Dieu“. Cela peut surprendre car avec notre esprit critique nous voyons plutôt spontanément en l’autre ce qui nous déplait, ce qui heurte précisément notre ego, notre moi. Mais si notre regard était éclairé par la parole du Seigneur, nous saurions qu’au-delà de ces misères humaines qui nous aveuglent, nous pouvons discerner ce qu’il y a de meilleur en chacun et par là-même, découvrir le visage de Dieu. Car le Christ s’est incarné pour tous, qu’ils soient baptisés ou non, étrangers ou non, tous sont inclus dans le Christ et tous, d’une certaine manière, nous sommes membres de son Corps.
En tout homme il y a un fragment, une trace de l’amour de Dieu, c‘est pourquoi tout ce que nous faisons aux plus petits d’entre les membres du Christ, quels qu’il soient, chrétiens ou non chrétiens, c’est au Christ que nous le faisons. C’est pour cela que nous devons être attentifs aux autres, nous devons garder conscience que le Christ est présent en l’autre, même si nous ne le voyons pas, de même qu’il est présent en nous, même si nous n’en sommes pas conscients ; cette prise de conscience entraine inévitablement une véritable transformation de nos comportements, en société, comme en famille ou au travail, en matière d’individualisme, de jugement, ou de paroles vaines, toutes matières qui devraient faire place à la recherche du service de l’autre et de son intérêt, ce qui ne peut se faire qu’en étant d’abord attentif aux pensées qui se présentent à notre esprit ; il faut faire le tri dans nos pensées, accueillir les unes, rejeter les autres. C’est un travail indispensable que les Pères de l’Église ont enseigné admirablement.
En effet, dans toute pensée lumineuse qui peut éclairer notre esprit, dans tout sentiment généreux de notre cœur, dans toute aspiration noble de notre âme en vue de l’accomplissement du bien, c’est le Christ en nous qui se manifeste par la puissance, la grâce du Saint-Esprit. Par toutes ces pensées lumineuses, ces sentiments généreux et ces aspirations nobles, nous faisons, si je puis dire grandir le Christ en nous ; si notre cœur de pierre s’émeut de la nudité de l’indigent et que nous l’aidons à se vêtir, alors nous avons revêtu le Christ en nous ; si malgré l’individualisme de notre âme, nous nous souvenons des autres et leur rendons visite, nous avons visité le Christ en nous. En un mot, si nous donnons priorité à l’homme juste qui est en nous, si nous lui permettons de s’élever au-dessus de l’homme pécheur également en nous et qui souvent domine, alors petit à petit, c’est le Christ qui grandit en nous et nous pourrons alors dire comme saint Paul : “Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi“ (Ga 2, 20). Alors nous aussi nous serons appelés bénis et nous entendrons les paroles du Roi au Jugement dernier : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. (Mt 25, 41).
Que le Saint-Esprit ouvre les oreilles et les yeux de notre cœur pour nous faire connaître la présence du Christ en nous-mêmes et dans les autres et dans l’Église ; quelle que soit l’appellation que nous lui donnons, elle est d’abord l’Église du Christ et tous nous sommes ses membres.
Lorsque dans quelques semaines nous nous approcherons avec crainte, foi et amour de l’Enfant Dieu nouveau-né, déposé dans la grotte qui est aussi celle de notre cœur, demandons-lui de nous aider à sortir de nous-mêmes, de notre égocentrisme, de nos petits problèmes sur lesquels nous nous replions, pour vraiment nous ouvrir à cette présence lumineuse du Christ qui irradie toutes choses en nous et autour de nous. À Lui soit la gloire pour les siècles des siècles. Amen.