21e dimanche du temps ordinaire A – 23 août 2020
Is 22, 19-23 – Ps 137, 1-8 – Rm 11, 33-36 – Mt 16, 13-20
Homélie du P. Franck Gacogne.
Jésus se trouve avec ses disciples aux sources du Jourdain. C’est là qu’il va leur poser une question source, la question source. Mais Jésus commence par leur laisser une échappatoire : dans un premier temps, il ne leur demande que de lui rapporter ce qu’on dit du Fils de l’homme. En somme les « on dit… », les rumeurs, les bruits de couloir au sujet du « Fils de l’homme ». Alors sans se risquer, chacun y va de sa proposition en lui répondant à la troisième personne comme s’il s’agissait d’un inconnu absent. Ils lui répondent : il est Jean-Baptiste, il est Elie, Jérémie ou encore un autre prophète… Mais voilà que le dialogue change de tournure car Jésus interroge maintenant directement ses disciples, et il pose un « je » : « pour vous qui suis-je », et à ce moment-là, non seulement Jésus affirme qu’il est ce Fils de l’homme, mais il demande en plus à chacun d’exprimer ce que cela veut dire pour lui.
On les imagine facilement dans l’embarras et pleins d’hésitations. Et c’est Simon-Pierre le plus fougueux qui prends les devants : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Jésus déclare à Pierre que sa réponse n’est pas le fruit de sa réflexion ou de ses cogitations, mais qu’elle lui est donnée par le Père. La foi est un don que nous sommes invités à faire grandir, une révélation qui, au moment favorable, se fait jour.
Ceci est un point très important de la réponse de Jésus car je crois qu’aujourd’hui beaucoup de personnes tentent de se fabriquer une foi à leur convenance en piochant ici ou là, dans telle ou telle tradition ce qui lui convient ; alors qu’en Jésus Christ tout nous a déjà été révélé, même s’il nous reste toujours à saisir cette révélation que nous ne voyons que par un bout, à nous l’approprier, à lui donner du sens. Voilà pourquoi cette question « pour vous qui suis-je » est capitale, d’une part pour faire un bilan, une relecture de là où j’en suis ; d’autre part pour grandir encore dans cette foi. Quand l’évangile de Matthieu est écrit, on peut supposer que les nouveaux chrétiens des premières communautés devaient passer par cette question. Et aujourd’hui comme à toute époque, dans la prière, ou lorsque nous participons à un temps fort spirituel comme une récollection, ou par exemple quand des lycéens préparent leur confirmation, cette question de Jésus à chacun de nous est incontournable : « pour toi qui suis-je ? ». La foi nous est révélée, et transmise par l’Eglise, mais elle n’est pas un pack en prendre ou à laisser. Pour que la foi fructifie, il revient à chacun de nous d’emprunter le parcours du croyant, de la formuler avec nos propres mots, de lui donner du sens et de l’intelligibilité. En somme il est nécessaire, et Jésus nous le demande, d’exprimer par nos mots ce qu’il est, qui il est pour moi. Et lorsque notre réponse et notre conviction viennent coïncider avec le Dieu d’Amour révélé en Jésus-Christ, alors la foi fait son œuvre de transformation en nous et agit puissamment, elle nous convertit profondément et durablement pour notre plus grand bonheur. Voilà pourquoi Jésus répond à Pierre par une béatitude : « heureux es-tu, Simon fils de Yonas… », littéralement en un seul mot « Baryonas » qui devient comme son nom de famille : Simon Baryonas. En araméen « Bar » signifie fils et « Yonas », c’est le prophète Jonas, mais aussi l’oiseau, la colombe, le symbole du retour à Dieu. Jésus surnomme Simon : « celui qui retourne à Dieu » parce qu’il a perçu accueilli et adhéré à la révélation : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Saint Jean l’affirme dans sa première lettre : « Celui qui proclame que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu » (1 Jn 4, 15) voilà pourquoi Simon Pierre est bienheureux. Jésus compte sur Pierre, il lui confie une mission majeure, celle de vouloir s’appuyer sur lui pour bâtir son Eglise.
Nous avons entendu que la mission que Pierre reçoit, est aussi le pouvoir de lier ou de délier pour le Royaume des cieux. Quand nous visitons une église, et précisément la nôtre, c’est souvent à cela que nous reconnaissons la représentation de Pierre : il tient dans ses mains ces clefs du Royaume qui lui sont remises. Ne nous trompons pas à ce sujet. Un théologien explique que lier ou délier n’est pas laissé au libre arbitre de celui à qui cette mission est confiée. Matthieu fait référence à la procédure de la Synagogue juive dans le cas d’une faute grave d’un membre de la communauté : on le chassait dans un premier temps, pour une durée de pénitence, avant de pouvoir le réintégrer ensuite. La personne n’était pas liée ou déliée comme une décision définitive et irréversible, non, elle était d’abord liée, puis déliée. Pierre ne lie personne pour l’empêcher d’accéder au Royaume. Non, c’est le Mal que Pierre est invité à lier pour lui barrer la route, et ainsi permettre à tous les hommes d’être délié du Mal, libéré pour le Royaume, pour l’accueil d’un Dieu plein de tendresse et de pardon.
Je vous propose que nous prenions maintenant quelques instants de prière silencieuse où chacun de nous peut entendre cette question qui est à la charnière de notre foi. L’entendre et essayer d’y attacher quelques convictions, quelques éléments de réponse. Cette question, Jésus la pose à chacun de nous aujourd’hui : « Pour toi, qui suis-je ? ».