Messe de la nuit de Noël – 24 décembre 2024
Is 9, 1-6 – Ps 95 (96)1-2a, 2b-3, 11-12a, 12b-13a – Tt 2, 11-14 – Lc 2, 1-14
Homélie de Éric de Nattes et Bernard Badaud
Évènement minuscule et inaperçu, à l’époque, dans l’histoire du monde. Suivi de 30 ans de silence. Les récits des Évangiles n’en disent presque rien et, en tout cas, rien de vérifiable historiquement, sinon la croissance ordinaire d’un jeune juif dans une bourgade de Palestine.
Jésus, dit l’Évangile de Luc est né dans une étable, dans un abri de fortune. Abri de fortune, abri précaire et nous avons vu les images des bidonvilles de Mayotte dévastés par le cyclone. Il est aussi question dans l’Évangile de Matthieu d’une fuite en Égypte pour échapper à la persécution d’un tyran sanguinaire. Et années après années nous assistons, impuissants, aux drames de migrants qui ne quittent certes pas leur pays de gaîté de cœur mais dans l’espoir d’échapper à des conditions inhumaines. Et voici que l’Évangile de Luc présente ces vieilles personnes, un homme et une femme Siméon et Anne qui ont pressenti dans le nourrisson présenté au temple de Jérusalem l’accomplissement à venir de toutes les promesses de Dieu, alors même qu’ils n’en seront pas témoins. Et je pensais à cet épisode de l’Évangile en voyant le pape François prendre dans ses bras les petits enfants qu’on lui présentait lors de son récent voyage en Corse. Dans notre chant traditionnel de Noël Il est né le divin enfant nous entendons que le mystère de l’amour de Dieu est tout entier contenu « de la crèche au crucifiement ». Du nourrisson nu de l’étable de Bethléem au corps nu du supplicié du calvaire. Fragilité radicale du corps humain où se révèle en Jésus la proximité de Dieu.
Serait-ce donc cela cette Bonne Nouvelle ? Bonne Nouvelle : c’est le sens même du mot Évangile. Et c’est même le « dernier mot » de Dieu, sa déclaration d’amour, comme l’écrivait le théologien Karl Rahner. Noël après Noël, Dieu est là. Sa toute-puissance est là, l’amour est là. Bien souvent, devant toute sorte de drames humains j’ai entendu des réflexions du genre « S’il y avait un Bon Dieu… » Noël et la Croix sont la réponse de Dieu. « Il est venu habiter parmi nous » dit l’Évangile de Jean. Nous le cherchons en dehors de nous et il est en nous, dit St Augustin. Hôte intérieur. Celui qui frappe à la porte de nos cœurs. Là où il y a un peu de bonté, là où on fait un peu de place à ceux qui n’ont pas de place, là où on prend le temps d’écouter un enfant, lorsqu’on visite un malade ou un prisonnier, lorsqu’on accueille un migrant, Dieu est là. L’histoire du monde n’en est pas changée mais, comme le dit Jésus le Règne de Dieu s’est approché. Auguste d’un côté : l’Empereur, celui qui ordonne à tout un empire, et qui déplace ainsi des centaines de milliers de personnes. Il a ses relais pour se faire obéir : un gouverneur et l’administration de l’empire. C’est l’ordre politique et économique.
Avec le danger constant pour l’homme de se prendre au jeu du pouvoir et de se diviniser, de prendre pour Dieu. Les empereurs romains n’y ont pas échappé. Les choses ont-elles beaucoup bougé de ce côté-là… Je vous laisse juge ! Jésus de l’autre côté : un enfant qui naît au milieu de la tourmente entouré d’un homme et d’une femme. Il n’a, lui, aucune capacité d’ordonner ni de se faire obéir. Il remet juste le cœur à l’endroit, car dans sa fragilité, il est la vie qui sollicite l’amour, la bienveillance, le don de ceux qui l’entoure. Ici c’est Dieu qui vient en l’homme. Il n’a pas besoin de faste et d’agents impériaux : il est la vie et sans la vie, rien ne peut-être. Il est donc tout à la fois la seule et vraie puissance sans laquelle rien ne peut être, mais aussi la plus extrême fragilité : voilà notre Dieu ! Tant que la vie fragile touche notre cœur, alors Dieu a encore une chance d’être présent en nous et de nous toucher.
Voilà comment il peut remettre le cœur à l’endroit. N’est-ce pas ce que nous sommes venus fêter ce soir ? Avant le bon repas qui va rassembler la famille, l’humble pain partagé de Celui qui voudrait rassembler l’humanité en une famille, celle du Père qui l’a engendré et qui nous le donne. Son Fils, son Bien-Aimé, en Lui, il nous donne tout ! Les bergers, premiers appelés à reconnaître ce signe. Ils sont les « impurs » dans la société de l’époque car ils vivent essentiellement dans la nature, près des animaux. Mais précisément, ils sont les bergers et ils savent veiller sur le troupeau. Ils savent se réjouir de la vie mise au monde. Alors ils sont appelés les premiers à se réjouir. Le pouvoir, l’argent, la possession n’ont pas encore érodé leur émotion face à la vie qui traverse cet univers, à la nuit immense et étoilée, leur capacité à ressentir l’invisible au cœur de la matière. Ils devinent que là est le trésor qu’on ne se donne pas mais qu’on reçoit, le trésor que personne ne peut acheter. On ne peut que veiller dessus, amoureusement.
Frères et sœurs : nous voici invités à être les bergers les uns des autres, à veiller sur l’enfant du Père qui naît doucement en chacun de nous ! Ne soyez pas fascinés par Auguste. Au contraire, lorsque les vents deviennent de plus en plus mauvais, remettez-vous le cœur à l’endroit. Sachez où vous êtes vraiment vivants, où vous devenez vraiment humains, car là est Dieu. Soyez les bergers attentifs de ces relations vivantes, ne les laissez pas filer, vous perdriez tout.
Gloire à Dieu, Paix aux hommes sur la terre !