30e dimanche du temps ordinaire B – 24 octobre 2021
Jr 31, 7-9 – Ps 125 (126) – He 5, 1-6 – Mc 10, 46b-52
Homélie du P. Franck Gacogne
La publication du rapport de la CIASE (la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise) il y a tout juste deux semaines m’invite, personnellement, à relire cet évangile que nous venons d’entendre sous un jour nouveau. Ce récit nous présente une victime : Bartimée. En lisant attentivement l’évangile, on se rend compte que Bartimée cumule au moins 5 difficultés :
1. il est hors de la ville : c’est un exclus.
2. il est mendiant : donc dépendant et assisté.
3. il est aveugle : donc avec peu d’autonomie.
4. il est assis par terre : le texte voulant souligner par là qu’il n’a pas toute sa dignité.
5. et enfin il est au bord du chemin donc en marge, dans le fossé.
Il porte ce handicap de la cécité depuis longtemps peut-être, mais de qui est-il la victime dans ce passage d’évangile ? Eh bien, c’est très clair, il est victime de la foule qui passe et qui s’est accaparée Jésus au milieu d’elle. Une foule qui ne veut pas entendre son cri de détresse, raison pour laquelle il a dû renouveler ce cri plus fort et plus insistant. Mais il y a pire que cela : cette foule est un obstacle à sa rencontre avec Jésus car elle le fait taire ! « Beaucoup de gens le rabrouaient pour le faire taire ».
Comment ne pas reconnaitre dans cette description la situation tragique qu’ont vécus tant de victimes dont on peut lire les témoignages poignants dans le rapport Sauvé. Comment de pas voir en cette foule la figure de l’Eglise qui passe, qui entraine Jésus et qui réduit au silence la voix de ceux qui gênent ?
Pourtant, le cri de Bartimée n’est pas banal : « Fils de David, Jésus, prends pitié de moi ! ». La puissance du propos est dans cette appellation : car si la foule qui suit Jésus ne perçoit peut-être pas autre chose de Jésus que « l’homme de Nazareth », l’homme d’un lieu ; Bartimée en revanche, lui qui est aveugle, voit en Jésus non pas l’homme de Nazareth, mais le « Fils de David ». C’est-à-dire qu’il le reconnaît roi, de la descendance royale de David d’où est attendu le Messie. C’est donc l’aveugle et non pas la foule, qui voit en Jésus le Messie et qui de cette façon-là exprime sa foi et son espérance. N’est-il pas surprenant que ce soit celui qui est exclu du groupe accompagnant Jésus qui soit le plus à même d’affirmer la véritable identité de Jésus que les autres suivent ? Aveugle, meurtri, l’image du Christ ne s’est pas dégradée dans son cœur. Il le reconnaît comme son Sauveur.
Mais un tourant se produit alors dans le récit, car il se trouve que Jésus ne supporte pas la foule quand elle devient un cortège de courtisans qui l’empêche d’entendre le cri et la détresse de ceux qui sont marginalisés. Cela lui est insupportable, alors Jésus s’arrête et impose l’arrêt à tous. Jésus n’appelle pas Bartimée. Non ! Il demande à ceux qui voulaient le faire taire de l’appeler : pédagogiquement, il permet ainsi la conversion de ceux qui l’accompagnent. La foule qui faisait écran, obstacle à la rencontre est maintenant exhortée à la faciliter et à se mettre au service de la rencontre avec le Christ.
Rendons grâce, reconnaissons la force de caractère et la foi de ces hommes et femmes abîmés dans leur chair, capables d’interpeller l’Eglise dans sa marche et de l’arrêter pour l’inviter à l’écoute, parce que Jésus est avec eux. Ils nous posent cette question : qui laissons-nous sur le carreau, y-a-t-il des appels qui peuvent être étouffés par l’institution, comment être au service de la rencontre du Christ pour tous ?
Regardons la fin de l’histoire : voilà enfin Bartimée qui jaillit, qui surgit de son fossé, il est ressuscité, rejetant son manteau, il abandonne son seul moyen de survie pour jeter toute sa confiance en Jésus. Jésus l’invite à formuler son désir le plus profond : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? – Rabbouni, que je voie ». Jésus lui rend sa dignité et sa liberté : « va, ta foi t’a sauvé ». Contrairement au jeune homme riche il y a deux semaines, c’est parce que Bartimée s’est débarrassé du peu qu’il avait qu’il est capable de se mettre à suivre Jésus sur la route. S’il y a guérison physique, il y a surtout et d’abord résurrection : une réintégration de Bartimée dans la communauté : il n’est plus exclu, dépendant ou assisté, il est autonome, il a retrouvé sa dignité. Bartimée n’est plus au bord du chemin, il décide de lui-même de se mettre en chemin avec le Christ et d’avancer avec tous ses frères. Être en chemin ensemble pour discerner la volonté de Dieu pour son Eglise : il se trouve que c’est exactement la dynamique synodale dans laquelle nous sommes entrées dimanche dernier.
Pour sortir des abus de pouvoir qui font taire et qui exclus, le pape François nous exhorte à entrer dans le processus d’une Eglise synodale qui inclus pour écouter la voix de tous, pour marcher ensemble et, par l’Esprit Saint, discerner la volonté de Dieu pour son Eglise. Amen.