30e dimanche du temps ordinaire A – 25 octobre 2020
Ex 22, 20-26 – Ps 17 – 1 Th 1, 5c-10 – Mt 22, 34-40
Homélie du P. Michel Quesnel
La question du docteur de la Loi est posée à Jésus « pour le mettre à l’épreuve ». On pourrait aussi traduire : « Pour le tenter. » Autrement dit, ce n’est pas une question banale, en vue d’obtenir une réponse ou un éclairage. L’interrogateur cherche à coincer Jésus. Il cherche à lui nuire.
Le contenu de la question a pourtant une certaine légitimité, car chercher à savoir quel est le plus grand commandement de la Loi pouvait permettre de se repérer dans une législation juive devenue, au temps de Jésus, extrêmement complexe. Les rabbis de l’époque avaient tiré de la Loi de Moïse une batterie de 613 commandements qu’il fallait observer à la lettre : 365 négatifs, des interdits ; et 248 positifs. Il y avait réellement de quoi s’y perdre.
La réponse de Jésus est remarquable. Il commence par répondre dans le cadre de la question posée, en citant un commandement important qu’il tire du Deutéronome : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » (Dt 6, 5). Il l’extrait du Shema Israel, qui signifie « Ecoute Israël », une prière que tout Juif pratiquant récite régulièrement, comme nous récitons le Notre-Père. Jusque-là, il n’y a rien d’étonnant dans sa réponse.
Mais Jésus dépasse la question posée en citant un deuxième commandement, alors qu’on ne lui en a demandé qu’un, et qu’il va le chercher dans une partie beaucoup moins connue de la Bible juive, perdu au milieu de multiples prescriptions du livre du Lévitique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19, 18). Et, pour tout embrouiller, il ajoute que ce second commandement est semblable au premier. Le texte ne donne pas la réaction de l’homme qui avait posé la question, mais c’est sans doute lui qui se trouva coincé, et non pas Jésus.
On peut cependant se poser légitimement la question suivante : aimer Dieu et aimer son prochain, sont-ce vraiment des commandements ? Oui selon Matthieu, oui également selon Marc dans le passage de Marc parallèle à celui-ci, et oui encore selon Jean, chez lequel on peut lire : « Je vous donne un commandement nouveau : c’est de vous aimer les uns les autres » (Jn 13, 34).
Mais le mot « commandement » convient-il ? Peut-on ordonner à quelqu’un d’aimer son prochain ? Le terme « commandement » a une connotation d’obéissance. Or, l’esprit évangélique n’est pas d’abord situé du côté de l’obéissance à des lois.
Il existe sur le sujet un texte très explicite de saint Paul, dans l’épître aux Romains, que je me permets de citer en entier : « N’ayez de dette envers personne, sinon celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi. La Loi dit : Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas. Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour » (Rm 13, 8-10).
Le changement de vocabulaire est important. Paul emploie le terme « commandement » lorsqu’il aligne plusieurs préceptes de la Loi juive. Mais lorsqu’il cite « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », il abandonne le mot « commandement » pour employer le mot « parole ». L’amour ne se commande pas. L’amour n’est pas affaire d’obéissance. C’est d’ailleurs bien ce que Paul énonce également dans le très bel Eloge que l’amour, au chapitre 13 de la première épître aux Corinthiens dont je cite quelques extraits :
« L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas… Il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout… » (1 Co 13, 4…7).
Lorsqu’on lit la première épître aux Thessaloniciens, on sent bien que c’est ce type de relation qui exista entre Paul et la jeune Eglise de Thessalonique : l’accueil que l’Apôtre a reçu, le service que les fidèles ont rendu au Dieu vivant… Chacun a su se comporter de façon à faire grandir l’autre, avec du souffle et sans aucune servilité. Ils peuvent alors être des modèles à imiter.
Aimons donc, non pas en obéissant à quelque commandement que ce soit, mais en ayant un amour inventif.
Chaque matin, dans notre prière, en tenant compte de ce que nous allons avoir à faire dans notre journée et en nous laissant éclairer par l’Esprit Saint, demandons-nous ce que nous allons pouvoir inventer pour faire du bien à nos frères, par les gestes que nous poserons, par les paroles que nous prononcerons, et même par les silences bénéfiques que nous respecterons.