21e dimanche du temps ordinaire A – 27 août 2023
Is 22, 19-23 – Ps 137 (138) – Rm 11, 33-36 – Mt 16, 13-20
Homélie du P. Franck Gacogne
Je me souviens en fin de, primaire ou au collège, nous devions apprendre par cœur une leçon, par exemple un poème qu’il fallait être capable de réciter le lendemain. Quelle fierté d’y parvenir sans se tromper. Et pourtant, les mots pouvaient bien être restitués sans erreur ni hésitation sans pour autant que le texte fasse sens. C’est bien des années, voire des décennies plus tard que l’on prend parfois conscience du sens des mots qui étaient prononcés, fièrement peut-être, mais surtout avec le recul, très naïvement. Quel écart entre la lettre et l’esprit, entre le texte et son sens, entre la désignation, la qualification d’une personne et ce qu’elle revêt. Telle est je crois l’expérience que vit Pierre dans ce passage : il a les mots justes pour désigner Jésus, mais il ne porte pas sur ces mots la signification et l’accomplissement que Jésus en fait, nous le verrons dimanche prochain dont l’évangile est la suite de ce passage, Pierre va rudement en faire les frais. C’est d’ailleurs pour cela que Jésus ordonne aux disciples de ne dire à personne qu’il est le Christ, car le Messie attendu et espéré par les disciples, ne correspond pas du tout au témoignage que donne et donnera Jésus dans sa Passion.
Tout cela pour dire que le Seigneur n’attend pas de nous que nous soyons de bons élèves, mais que nous soyons des hommes et des femmes qui disent ce qu’ils croient, qui croient ce qu’ils disent et surtout qui laissent leur vie s’en trouver transfigurée. Car la réponse peut être belle, ce n’est pas seulement en paroles et par des discours que la foi doit se dire, mais en acte et en vérité. La question que Jésus pose à ses disciples, c’est LA question fondamentale qu’il pose à chacun d’entre-nous : « pour toi, qui suis-je ? ». Mais attention, mieux vaut être agnostique en estimant en conscience aujourd’hui ne pas pouvoir répondre, plutôt que d’être dans la situation de l’un des deux fils que le Père de la parabole envoie à sa vigne : vous savez quand le second fils répond : « oui bien sûr j’y vais » et que finalement il ne bouge pas (Mt 21, 28-32).
Cette année sur la paroisse, nous aurons l’occasion de nous interroger sur nos actes de foi, sur les paroles que nous prononçons pour dire la foi. On appelle « kérygme » du grec kèrugma, littéralement « proclamation » ou « coup de trompette » : ce sont les paroles des premiers chrétiens qui disent le cœur de la foi en allant à l’essentiel. Par exemple : « Jésus est mort et ressuscité… il est apparu à quelques-uns… il est Seigneur… il nous aime sans condition… il nous appelle à vivre avec lui… » etc… On trouve certaines de ces expressions dans les lettres de Paul. Mais aujourd’hui, tout comme dans les premiers temps de l’Eglise, il nous faut trouver la parole juste, percutante et vraie qui puisse rejoindre l’autre, une parole qui puisse rendre la foi crédible et désirable à la liberté qui la reçoit. Quand l’opportunité nous en est donnée, quelles sont celles que nous utilisons ou peut-être que nous n’osons pas prononcer ? Ici dans ce passage, Pierre pose une parole essentielle qui est un kérygme : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » et d’ailleurs Jésus déclare à Pierre que sa réponse n’est pas le fruit de sa propre réflexion ou de ses cogitations, mais qu’elle lui est donnée par le Père. La foi est un don que nous sommes invités à rendre audible aujourd’hui par nos paroles et par nos actes.
Je termine par cette question des clefs qui semble énigmatique. Nous avons entendu que la mission que Pierre reçoit, est aussi le pouvoir de lier ou de délier pour le Royaume des cieux. Quand nous visitons une église, et précisément la nôtre, c’est souvent à cela que nous reconnaissons la représentation de Pierre : il tient dans ses mains ces clefs du Royaume qui lui sont remises. Ne nous trompons pas à ce sujet. Un théologien explique que lier ou délier n’est pas laissé au libre arbitre de celui à qui cette mission est confiée. Matthieu fait référence à la procédure de la Synagogue juive dans le cas d’une faute grave d’un membre de la communauté : on le chassait dans un premier temps, pour une durée de pénitence, avant de pouvoir le réintégrer ensuite. La personne n’était pas liée ou déliée comme une décision définitive et irréversible, non, elle était d’abord liée, puis déliée. Pierre ne lie personne pour l’empêcher d’accéder au Royaume. Non, c’est le Mal que Pierre est invité à lier pour lui barrer la route, et ainsi permettre à tous les hommes d’être délié du Mal, libéré pour le Royaume, pour l’accueil d’un Dieu plein de tendresse et de pardon.
Je vous propose que nous prenions maintenant quelques instants de prière silencieuse où chacun de nous peut entendre cette question qui est à la charnière de notre foi. L’entendre et essayer d’y attacher quelques convictions, quelques éléments de réponse. Cette question, Jésus la pose à chacun de nous aujourd’hui : « Pour toi, qui suis-je ? ».