5ème dimanche de Carême C – 3 avril 2022
Is 43, 16-21 – Ps 125 (126) – Ph 3, 8-14 – Jn 8, 1-11
Homélie du P. Franck Gacogne
Le piège est bien monté, implacable et incontournable ! L’évangéliste nous dit que Jésus se trouve au Temple de Jérusalem pour enseigner. Il est donc dans la position du répondant, du garant autorisé de la Loi. Belle occasion pour les scribes et les pharisiens qui trouve alors cette opportunité pour contraindre Jésus à se positionner par rapport à cette loi, le moyen de le faire tomber : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? » Ce qu’il pourrait dire, c’est ceci : « Mais où donc est l’homme qui a été pris en flagrant délit avec elle ? » parce que selon Lv 20, 10, lui aussi devrait être passible de la peine de mort. Mais Jésus n’entre pas dans ces considérations, il ne veut pas de cette escalade légaliste.
Jésus ne veut pas surplomber, il se baisse par deux fois, il se met en-dessous de ceux qui accusent et à la hauteur de celle qui est accusée. Être un interprète scrupuleux de la lettre de l’intéresse pas. De toute façon, le but des pharisiens dans leur hypocrisie n’est pas l’application de la loi, mais la mise à l’épreuve de Jésus pour pouvoir l’accuser.
Longtemps, tous les biblistes se sont demandé ce qu’il pouvait bien dessiner ou écrire sur le sol. Jésus sait de quoi nous sommes pétris, il se souvient que nous sommes poussière. Et si Jésus y inscrivait nos fragilités, comme autant de manquements à la loi des 10 paroles qui elles ont belles et bien été inscrites dans la pierre que Moïse brandit. Ces fragilités-là, elles sont inscrites sur un sol meuble, fluide, sur du sable que le vent de l’Esprit plein de miséricorde va effacer. Un sol que la femme en repartant va fouler pour se remettre en chemin.
« Celui d’entre vous qui est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre », de nouveau Jésus se baisse et trace des traits pour ne pas les dévisager, pour laisser chacun libre mais en vérité face à sa conscience. Les pierres de la Loi qui se dressaient, menaçantes, sont maintenant jetées au sol les unes après les autres dans la poussière de nos fragilités, de notre péché. Ces pierres de la Loi se retrouvent sur le même terrain que le péché pour que vraiment cette Loi soit faite pour l’homme et non pas que l’homme soit esclave de la Loi.
Il me semble que le passage le plus admirable de ce récit, est dans l’échange entre Jésus et cette femme, parce qu’il va bien mettre en valeur la dissociation absolument nécessaire qu’il faut faire entre le péché et le pécheur. Le problème des pharisiens, c’est qu’ils ne font pas cette distinction : c’est d’ailleurs une tentation pour nous aussi quand sans y prêter attention nous appelons ce passage biblique celui de la « femme adultère » (c’est l’appellation commune que nous employons souvent) comme si ce qualificatif devenait son identité, presque son nom, comme si l’acte qu’elle avait commis devait désormais lui coller à la peau toute sa vie. Oui, le mal existe et les fautes sont condamnables aux yeux des hommes. Oui, la société doit fixer des limites et bien sûr protéger tous ses membres. Mais il n’en demeure pas moins qu’aux yeux du Christ, la personne, toute personne vaut mieux, vaudra toujours mieux que les actes qu’elle a commis ; et si ces actes appartiennent au passé, la personne reste promise à un avenir de vie et de bonheur.
« Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus ». Il y a tout dans cette finale : nous y voyons à la fois Jésus plein de miséricorde pour cette femme. Il ne veut pas la condamner, il lui offre une porte de sortie : « Va », c’est-à dire reprends ta liberté, car Jésus se refuse de l’enfermer dans l’acte qu’elle a commis. En revanche, il pose une exigence très claire : s’il ne condamne pas la femme, il dénonce son péché : « désormais, ne pèche plus ». Le pardon de Dieu n’abolit pas le péché, qui demeure inscrit, avec toutes ses conséquences, dans l’histoire et dans la mémoire. Mais le pardon de Dieu transfigure le pécheur ; il inscrit dans cette personne une capacité nouvelle, à répondre à l’amour de Dieu.
J’aimerais que l’on comprenne bien la clé de cette histoire : elle se résume en une phrase : Dieu n’attend pas que nous changions pour nous pardonner. Non, c’est le contraire : il nous pardonne pour que nous changions. Nous l’avons entendu : « Moi non plus, je ne condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus ». Après la rencontre de Jésus, chacun peut repartir non pas condamné, mais libre et sauvé ; non pas ouvert au laxisme d’un tout permis, mais sur un chemin de conversion exigeant, un chemin d’exercice de sa conscience pour être en vérité avec soi et devant Dieu. Que dans ces derniers jours de préparation aux fêtes pascales nous ayons tous l’opportunité et la chance de parcourir ce chemin, il est promesse et prémices de résurrection et de vie. Amen.