31ème dimanche du temps ordinaire – 3 novembre 2024
Dt 6, 2-6– Ps 17 (18) 2-3, 4, 47.51ab – He 7, 23-28 – Mc 12, 28b-34
Homélie de Eric de Nattes
Un scribe s’approcha de Jésus pour lui demander… Un scribe, quelqu’un d’instruit, qui a fait de la lecture et de l’écriture son métier, quelqu’un qui a un savoir sur les questions religieuses, et qui se fait proche (« il s’avance vers lui », comme à découvert, sans intentions cachées) qui se fait proche de Jésus pour l’interroger. Pas le mettre à l’épreuve, comme nous y étions malheureusement habitués. Pas un « sachant » venu opposer son idéologie religieuse à celle de Jésus pour voir qui va gagner, non, quelqu’un qui semble prêt à écouter et peut-être même à dialoguer. Écouter et dialoguer ! C’est suffisamment rare pour être souligné. On pense à la rencontre du vieux pharisien Nicodème avec Jésus en Saint Jean. Il y en a donc ! Ça existe… Serions-nous devant une rencontre possible, la possibilité d’un événement, donc que quelque chose de nouveau apparaisse ? Pas un affrontement mais un dialogue qui suppose l’écoute de l’autre, de ce qu’il va dire… et les déplacements que cela va opérer… un début de judaïsme synodal… je le dis avec humour bien sûr ! Ô Seigneur, quand tout l’être est ouvert à l’écoute, alors, par le dialogue (dia-logou), tout peut ad-venir, le mouvement de création est en route. C’est Saint Jean qui nous le dit de manière admirable dans son prologue : « par le Verbe » (dia-logou) tout vient à l’être, tout ad-vient, tout est créé.
Et d’ailleurs, la réponse du Verbe de Vie venu en notre chair, la réponse de Jésus, ne s’y trompe pas, dont le premier mot est « Écoute », Israël ! Premier de tous les commandements. Ces commandements qui sont donnés pour que nous vivions. Si tu n’écoutes pas, pas de vie, pas de fécondité. Tu tourneras en rond dans tes quelques certitudes, dans tes habitudes de penser et de faire. Écoute la voix de l’Autre qui est Dieu et la voix de l’autre en humanité, ton prochain (ton épouse, tes enfants, tes amis, tes collègues…). Rien de bon n’arrivera si ton oreille ne se dresse pas. Écoute, Israël, notre Dieu est l’Unique. Oh, pas d’abord parce qu’il est ‘un’ numériquement, c’est plutôt pauvre comme sens du monothéisme. Il est unique. Il n’en est pas d’autre comme lui. Écoute-le, parce qu’alors tu te découvriras à son image et ressemblance, unique toi aussi, au milieu pourtant de la multitude. Tu n’es pas réductible à l’un de ton espèce, tu es unique. Être unique, c’est entrer dans la profondeur, dans la densité, dans la manière unique dont la vie s’éprouve en moi. Et me découvrir ainsi, c’est découvrir qu’il en est de même pour chacun au milieu de mes semblables. Et qu’entrer en relation, en lien, en alliance, c’est entrer en communion avec la singularité, l’unicité de chacun, de chaque vie. Alors l’émerveillement devant le mystère est tout proche.
C’est le mouvement exactement inverse des algorithmes qui font tourner l’économie : réduire chacun a des habitudes de consommations prévisibles, vous y enfermer pour mieux vider vos portefeuilles, et vous faire croire ensuite avec un bon message publicitaire qu’en achetant ce produit, c’est vraiment ce que vous désirez et que c’est unique, c’est-à-dire, dans notre économie, parfaitement interchangeable avec un autre numéro un ! On peut se rassurer à être un numéro interchangeable, mais l’aventure intérieure, c’est d’aller à la recherche de ce qui est unique en soi, de ne pas en avoir peur, à l’écoute de l’Unique.
Alors arrive la conséquence : Tu aimeras l’Unique, ton Dieu, et ton prochain, qui est aussi unique, comme toi-même, unique. L’Évangile nous fait découvrir combien l’amour est aussi un chemin de découverte, unique. Car lorsque nous disons à l’autre « je t’aime », dans un premier temps, cela peut vouloir dire beaucoup de choses : « je te désire », « je te veux pour moi », « tu es si jolie et désirable », ou bien, « je trouve que tu viens bien combler mes attentes et mon désir », « c’est bien agréable de t’avoir à mes côtés ». Bref, « tu m’as l’air assez bien ajustée à ce que j’attends de toi ». Et puis le dialogue, la relation, l’alliance, qui me font peu à peu découvrir combien tu es différent(e), combien tu es toi-même, tu es unique, et que j’ai à réinventer sans cesse mon amour pour toi, à te redécouvrir. Alors c’est le temps de l’épreuve. L’amour qui s’éprouve en moi. La déception va-t-elle m’envahir ? l’aigreur me gagner ? Parce que tu n’es décidément pas comme je l’avais imaginé. Tu ne corresponds plus tant que ça à ce que je désirais de toi. Il en est d’ailleurs de même pour cet Autre Unique qu’est Dieu, qui n’exauce décidément pas tous mes désirs, qui ne répond pas « présent » dès que je le convoque dans ma prière de demande. Que faire alors ? L’éliminer de ma vie et rester un enfant déçu et aigri ? Ou creuser le lien, dans le dialogue. Continuer l’aventure et faire confiance car me voici à l’entrée de la vie véritable. Sur le chemin qui mène au Royaume. Dieu, le prochain et moi-même, tout est lié. Écouter, entrer en soi, apprendre à voir pour grandir et commencer à aimer vraiment : à écouter Dieu parce qu’il est tellement autre et pourtant si proche ; le prochain parce qu’il est tout près de moi et pourtant toujours tellement différent ; et aussi moi-même parce que je crois que je colle à moi-même, tellement je crois me connaître, alors que je découvre des profondeurs, des attentes qui m’émerveillent et parfois me font frissonner. De l’autre parle en chacun : ÉCOUTE !
« Personne n’osait plus l’interroger. » Oui, dans ce dialogue, le Royaume s’est approché, chacun le sent. On n’est plus dans l’échange de banalités où chacun se rassure en voulant retrouver sa propre opinion dans les paroles de l’autre. L’horizon vient de s’ouvrir, la vie a repris du sens, un chemin, elle s’est délestée du fardeau des tâches à accomplir qui avait tout envahi. La vie est à nouveau un appel à tendre l’oreille, à voir vraiment, à aimer l’autre, vraiment, et pas à se l’approprier ou à la rêver tel qu’il n’est pas et ne sera jamais.
« Tu aimeras l’Unique de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force. Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront gravées dans ton cœur. »