31e dimanche du temps ordinaire C – 30 octobre 2022
Sg 11, 22 – 12, 2 – Ps 144 (145) – 2 Th 1, 11 – 2, 2 – Lc 19, 1-10
Homélie du P. Franck Gacogne
St Luc nous dit que Zachée « était de petite taille », mais à travers la lecture de ce récit je crois qu’on peut dire aussi que Zachée était boulimique ! Voilà que cet homme semble avoir réussi sa vie professionnelle, une carrière que beaucoup envierai sans doute. Zachée est riche, il n’est pas simplement collecteur d’impôt, il en est leur chef ! Zachée a accumulé beaucoup d’argent et beaucoup de biens, sans doute aussi par la même occasion, tout autant d’ennemis. Il s’est constitué un matelas « d’avoir » probablement considérable, et pourtant c’est comme s’il n’était pas encore rassasié. Il entend parler de Jésus et se dit qu’il y a peut-être là encore quelque chose à saisir et à voir… On peut imaginer que la démarche de Zachée pour voir Jésus à tout prix soit dans un premier temps celle de vouloir acquérir quelque chose qu’il n’a pas encore : une connaissance, un savoir… en tout cas Jésus passe, il y a du spectacle, et Zachée ne voudrait pas être en reste !
Mais voilà que c’est en fait Jésus qui regarde et interpelle Zachée. Jésus lui donne quelque chose en effet, il lui donne ce qu’il n’a sans doute jamais reçu de toute sa carrière professionnelle : un regard qui le considère dans son être, et non pas un regard qui convoite son avoir. Jésus ne lui donne pas quelque chose, il se propose lui même d’entrer dans sa vie. Bien plus que cela, venir chez Zachée semble pour Jésus une nécessité absolue : « aujourd’hui il faut que j’aille demeurer dans ta maison ». Il se produit alors quelque chose de surprenant : Le désir de possession de Zachée change de nature, pour accueillir plus « d’être » dans sa vie, il décide de lâcher une bonne partie de son « avoir ». Il vient de découvrir un trésor bien plus précieux qui équilibre sa vie entre être et avoir.
Je m’autorise une petite digression, car je ne résiste pas au plaisir d’illustrer ces propos par un texte au ton sympathique et qui donne à penser. Le voici :
Loin des vieux livres de grammaire,
écoutez comment un beau soir
ma mère m’enseigna les mystères
du verbe être et du verbe avoir.
Parmi mes meilleurs auxiliaires,
il est deux verbes originaux.
Avoir et Être étaient deux frères
que j’ai connus dès le berceau.
Bien qu’opposés de caractère,
on pouvait les croire jumeaux,
tant leur histoire est singulière.
Mais ces deux frères étaient rivaux.
Ce qu’Avoir aurait voulu être
Être voulait toujours l’avoir.
À ne vouloir ni dieu ni maître,
le verbe Être s’est fait avoir.
Son frère Avoir était en banque
et faisait un grand numéro,
alors qu’Être, toujours en manque
souffrait beaucoup dans son ego.
Pendant qu’Être apprenait à lire
et faisait ses humanités,
de son côté sans rien lui dire
Avoir apprenait à compter.
Et il amassait des fortunes
en avoirs, en liquidités,
pendant qu’Être, un peu dans la lune
s’était laissé déposséder.
Avoir était ostentatoire
Lorsqu’il se montrait généreux,
Être en revanche, et c’est notoire,
est bien souvent présomptueux.
Avoir voyage en classe « Affaires ».
Il met tous ses titres à l’abri.
Alors qu’Être est plus débonnaire,
il ne gardera rien pour lui.
Sa richesse est tout intérieure,
ce sont les choses de l’esprit.
Le verbe Être est tout en pudeur
et sa noblesse est à ce prix.
Un jour à force de chimères
pour parvenir à un accord,
entre verbes ça peut se faire,
ils conjuguèrent leurs efforts.
Et pour ne pas perdre la face
au milieu des mots rassemblés,
ils se sont répartis les tâches
pour enfin se réconcilier.
Le verbe Avoir a besoin d’Être
parce qu’être, c’est exister.
Le verbe Être a besoin d’avoirs
pour enrichir ses bons côtés.
Et de palabres interminables
en arguties alambiquées,
nos deux frères inséparables
ont pu être et avoir été.
Pas facile de revenir à l’évangile maintenant, mais j’aimerais souligner un dernier point. Très souvent, comme dans cet évangile, Jésus est accompagné d’une foule qui le cerne et se l’accapare, une foule convaincue d’être les seuls élus avec Jésus sur l’unique chemin de salut. Et lorsque Jésus quitte cette foule pour prendre un chemin de traverse comme pour se rendre chez Zachée, tous récriminent nous dit l’évangile, ils s’offusquent et se scandalisent. Mais Jésus ne laisse pas de côté la foule pour ne s’intéresser qu’au pécheur, bien au contraire, il emprunte le chemin où se trouve Zachée pour le faire converger vers le seul et unique chemin de salut : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car lui aussi est un fils d’Abraham. En effet, le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. »
Nous venons aujourd’hui célébrer l’Eucharistie et écouter la Parole de Dieu, Jésus est donc bien là avec nous ce matin. Mais ma conviction, c’est qu’il ne se laisse pas accaparer par notre assemblée, il la quitte pour s’inviter chez tant d’autres personnes qui n’ont pas idée qu’elles pourraient elles aussi la rejoindre, qu’elles sont attendus, espérées, que leur absence manque à la communauté.
Si nous sommes envoyés en son nom à la fin de la messe, c’est pour que nous soyons relais, mains et bouche de Dieu, pour signifier par nos gestes et nos paroles cette Bonne Nouvelle à tous les hommes ? Amen.