2ème dimanche de l’Avent A – 4 décembre 2022
Is 11, 1-10 – Ps 71 (72) – Rm 15, 4-9 – Mt 3, 1-12
Prédication du P. Antoine Callot (Prêtre orthodoxe du Patriarcat de Constantinople) pour le 1er échange de chaire 2022-2023.
Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, Amen.
Sur notre chemin vers la Nativité du Seigneur, chemin à peine commencé depuis une semaine, voici que se dresse soudain la figure immense et terrible de Jean Baptiste, le Précurseur.
Face au troupeau désorienté de ses contemporains qui avaient perdu de vue son berger, Jean a pour mission de rappeler aux hommes que le temps est venu de se réveiller de leur torpeur et de leurs querelles mesquines pour se préparer à accueillir celui qui vient pour renverser le monde, pour bouleverser ses croyances antiques et annoncer l’avènement d’un royaume aussi mystérieux que désirable, le Royaume des Cieux.
Jean n’est en rien attaché au monde, il n’a aucune peur du monde, c’est pourquoi il tonne sans crainte contre les puissants de Jérusalem corrompus, devant qui le monde s’incline comme devant des idoles : “Engeance de vipères qui vous a suggéré d’échapper à la colère qui vient ? “ leur hurle-t-il en pleine face. Jean ne prend en considération personne sinon le Dieu vivant et sa sainte volonté qui lui a été révélée avant même sa naissance, lorsqu’il était encore dans le sein de sa mère Elisabeth.
Saint Jean a vécu dans le désert ; le désert c’est le lieu du dépouillement où l’âme mise à nu se purifie de ses passions, (de ses tendances au péché), à l’image des hébreux qui ont parcouru le désert pendant 40 ans pour être dignes de parvenir à la terre promise. Le désert c’est encore le lieu où notre Seigneur, après son baptême sera éprouvé par le démon comme un métal précieux éprouvé par le feu.
Jean se nourrit de sauterelles et de miel sauvage nous dit l’Évangéliste ; ça c’est la nourriture pour le corps, mais quelle nourriture pour l’âme ? Très certainement le jeûne, car l’expérience montre que la faim charnelle est souvent la nourriture de l’âme : un corps toujours rassasié reflète habituellement une âme toujours affamée alors que celui qui jeûne donne l’hospitalité à l’esprit. Plus l’homme s’habitue à jeuner, plus il diminue l’attention portée au corps et augmente la joie de son âme.
Jean ne se préoccupait pas plus de son logis, ni de son vêtement. Son logis était le désert recouvert par la voute céleste et son vêtement était fait de poils de chameau et d’une ceinture de peau autour des reins. Sans doute des serpents venimeux et des lions étaient ses voisins mais il n’en avait crainte sachant que veillait sur lui le Seigneur des Cieux.
Le prophète Isaïe avait annoncé 7 siècles auparavant la mission et la fonction de Jean le Précurseur et cela le peuple d’Israël s’en souvenait : Une voix crie dans le désert : Préparez les chemins du Seigneur, rendez droits ses sentiers. C’est dans ce désert entre Jérusalem, la mer Morte et le Jourdain que Jean va faire résonner avec force la trompette de l’alarme pour réveiller ceux qui sont assoupis dans les ténèbres et l’ombre de la mort : “Convertissez-vous, le Royaume des cieux s’est rapproché“ leur crie-t-il. Il y a urgence car Il vient maintenant Celui qui nous sauve tous et il va frapper à la porte de chaque âme.
Jean, un prophète du désert, connaît jusqu’au plus profond la nature humaine, toute sa faiblesse, son inclination vers le mal ; il connait tout cela après avoir passé trente années de vie solitaire dans le désert : son combat victorieux contre lui-même lui a apporté une connaissance inépuisable de la nature humaine. C’est pourquoi il s’avance maintenant devant les hommes avec la liberté du vainqueur ; il sait que le péché, qui est avant tout un éloignement de Dieu, est devenu une habitude pour l’homme et ce n’est que par un long travail, un long apprentissage qu’il pourra purifier son âme et son cœur et faire le bien. C’est pourquoi Jean, méfiant envers les convertis momentanés leur crie Produisez du fruit digne de votre conversion et ne vous réfugiez pas dans le faux prétexte de votre filiation dans la succession d’Abraham “car Dieu peut, des pierres que voici, susciter des enfants à Abraham“. Et c’est bien ce que l’histoire nous a montré lorsque de ce petit peuple, Dieu va élever jusqu’à Lui des apôtres, des évangélistes, des saints et des héros d’entre les héros alors que les chefs du peuple brillants d’un éclat terrestre éphémère et illusoire, seront rejetés par Dieu s’ils ne montrent pas des fruits dignes de leur conversion.
La conversion est un mot clé en ce début de l’Évangile de Matthieu, car l’évangéliste prête à Jésus la même parole que Jean Baptiste lorsque quelques versets plus loin, après avoir vaincu Satan, notre Seigneur inaugure son ministère par ces mêmes mots : “Convertissez-vous, car le Royaume des cieux s’est approché“, c’est sa première parole.
La conversion ou le repentir est le départ de la Bonne Nouvelle ; sans conversion, il ne peut y avoir de vie nouvelle, de salut, et donc d’entrée dans le Royaume des Cieux. Mais qu’entend-on, en fait par conversion ou repentir ? Ce mot évoque généralement le regret d’avoir péché, le sentiment de culpabilité, la sensation de peine face aux blessures que nous avons infligées aux autres. Mais une telle vision est incomplète. Pour approcher plus profondément la notion de conversion il faut se souvenir que le mot conversion (ou repentir ou pénitence c’est la même origine) traduit le grec “métanoïa“ qui signifie littéralement changement de mentalité, il ne s’agit pas tant du regret du passé que d’une transformation fondamentale de notre façon de penser, d’être, d’agir, de voir Dieu, autrui et nous-mêmes. Et ce n’est pas une simple étape sur le chemin spirituel, un préliminaire, il se poursuit durant toute la vie, c’est fondamental.
Le repentir est “un acte de grande intelligence“ disait déjà le Pasteur d’Hermas au 2ème siècle de notre ère, et pas nécessairement une crise émotionnelle. Le repentir n’est pas un accès de remords et d’apitoiement sur soi-même, mais une véritable conversion en profondeur, le recentrage de notre vie sur la Sainte Trinité ; en ce sens la conversion exprime plus une attente ardente qu’un découragement ; ce n’est pas le sentiment d’être dans une impasse, mais au contraire d’avoir trouvé une issue qui nous entraine à regarder vers le haut, vers l’amour de Dieu avec confiance afin de ne plus regarder avec tristesse ce que l’on n’a pas réussi à être, mais ce que l’on peut devenir par la grâce du Christ.
Dans ce sens positif, la conversion n’apparaît pas simplement comme un acte unique, mais comme une attitude permanente ; chacun de nous, dans son expérience personnelle peut connaître des moments décisifs de conversion, mais dans cette vie le travail du repentir reste toujours inachevé, le retournement ou recentrage de l’être doit être constamment renouvelé. La Liturgie orthodoxe le rappelle chaque fois par une exhortation du prêtre (ou du diacre) “Demandons au Seigneur d’achever le reste de notre vie dans la paix et la conversion“, à quoi l’assistance répond “Accorde-le, Seigneur ! “.
Un récit des Pères du Désert en donne une illustration frappante : il s’agit de l’abbé Sisoés, un grand saint gisant sur son lit de mort ; les disciples qui l’entouraient le virent s’adresser à quelqu’un : “À qui parles-tu Père ? “ lui demandèrent ses disciples. Il répondit : “Voici que des anges viennent me prendre et je supplie qu’on me laisse faire un peu pénitence“. Les moines lui dirent : “ Père, Tu n’as pas besoin de faire pénitence“ et l’abbé Sisoés de répondre : “En vérité je ne suis pas sûr d’avoir commencé à me repentir“.
Les Pères de l’Église sont unanimes à soutenir la nécessité de la conversion, du repentir dans la vie spirituelle ; ils le font selon leur expérience et non par spéculation intellectuelle. L’un d’eux, Marc le Moine, écrit : “Personne n’est meilleur, ni plus miséricordieux que Dieu, mais il ne pardonnera pourtant pas à celui qui ne se repent pas … Toute la diversité des commandements cesse pour se réduire à un seul, celui du repentir … Pour les petits comme pour les grands le repentir n’a pas de fin, jusqu’à la mort. “
L’expérience du repentir est vécue avec une force toute particulière dans le sacrement de la confession dans lequel il faut voir essentiellement une rencontre avec le Seigneur Jésus.
Dans ce temps de l’Avent l’appel de Jean Baptiste doit particulièrement nous toucher et nous mettre en route si nous voulons que cette fête de Noël prenne son véritable sens qui est celle de l’accueil du Seigneur dans la grotte de notre cœur. L’Avent est un temps de dynamisme et non d’attente passive comme on attend le train à la gare car il se pourrait alors que le train passe et ne s’arrête pas. Priez le Seigneur qu’Il vous éclaire et vous accompagne dans ce court temps de conversion qui nous reste jusqu’à Noël.
Au Seigneur qui s’approche comme un petit enfant et qui attend que nous Lui ouvrions notre cœur pour L’accueillir, soit la gloire pour les siècles des siècles. Amen.