5e dimanche du temps ordinaire C – 6 février 2022
Is 6, 1-2a.3-8 – Ps 137 (138) – 1 Co 15, 1-11 – Lc 5, 1-11
Homélie du P. Franck Gacogne
J’essaye de me mettre à la place des pêcheurs en train de travailler sur le rivage, en train de laver, de réparer leurs filets au petit jour ; sans doute un peu agacé et déçu de n’avoir une fois de plus rien pu prendre. Et voilà qu’une foule de gens n’ont rien d’autre à faire que venir les déranger dans leur travail pour parler de religion, de sens, ils accompagnent un certain Jésus qui annonce la Parole de Dieu… en quoi tout cela va-t-il bien contribuer à les nourrir ? Mais Jésus dit à Simon le pêcheur : Simon, j’ai besoin de toi, de ton savoir-faire, j’ai besoin de ta vie : est-ce que je peux embarquer dans ta vie ? Surprise, étonnement sans doute, il consent à accueillir le Christ dans ce qui fait toute sa vie, son seul moyen de subsistance, sa barque de pêcheur. Et depuis la barque, Jésus s’adresse à la foule qui a faim et soif de sens, faim de la Parole de Dieu, Jésus les nourrit par ses mots, par sa parole qui éclaire leur vie. Mais voilà maintenant que Jésus s’adresse à Simon. Qu’a-t-il pu comprendre des paroles savantes qu’il a prononcées ? Jésus ne lui fait pas un enseignement mais il le valorise dans son savoir-faire. Tu sais pêcher, alors allons-y ! « Duc in altum » en latin : ce verset 4 donne un impératif qui peut être traduit de deux façons : soit « Avance en eau profonde » soit « va au large ». La traduction que nous avons entendue mêle les deux en disant : « Avance au large ». Il y a comme un double appel pour Simon : celui que sa mission se réalise à la fois en étendue, mais aussi en épaisseur, en profondeur…
L’invitation de Jésus faite à Simon est radicale : Avance, mais pas au bord, va au large, donne-toi à fond dans ce que tu sais faire, utilises à fond les talents qui t’ont été donnés, va, avance au large, va creuser au fond des choses, au fond de toi-même. Réaction de résistance sceptique de la part de Simon sans doute… Puis il s’y résout… et alors, il y a surprise… abondance… surabondance : les filets sont pleins, débordants ! Jésus signifie aux pêcheurs qu’il a besoin d’eux, que c’est de leur propre travail, de leurs propres talents qu’il peut tirer le meilleur et l’abondance. Les pêcheurs réalisent que la Parole du Christ n’est pas désincarnée ou réservée à une élite seule capable de comprendre. Non, Jésus leur prouve par leurs propres mains qu’il met de l’abondance dans leur vie, eux qui se résignaient à si peu. Il leur fait expérimenter qu’ils sont capables de nourrir par leur savoir-faire. Alors un changement se produit.
Chers futurs mariés, en choisissant le sacrement du mariage, vous ajoutez sur votre liste un invité surprise, c’est Jésus. Il ne sera pas le DJ de d’un soir, mais le compagnon de route de toute une vie. Il vous permettra d’oser une relation ample, ouverte et audacieuse pour que votre vie soit abondante et généreuse dans le don de vous-mêmes. Comme les pêcheurs, nous avons tous des compétences, des talents, des savoir-faire : dans l’accueil, l’écoute, le service, l’animation… que sais-je. Pour être ses témoins, Jésus ne nous retire pas ces talents, bien au contraire, il prend appuie sur eux, il nous invite à aller plus loin, Jésus vient sublimer les talents que nous portons, il les valorise, il les consacre au plus grand nombre.
Être chrétien, c’est consentir à ce que Jésus vienne s’embarquer dans notre vie. Mais alors, il n’aime pas quand nous zonons au bord du rivage, il n’aime pas quand on longe la côte comme on rase les murs. Cap au large, risquons notre vie, le Christ veux perdre pieds avec nous dans les profondeurs de l’humanité pour l’embrasser de son amour, il a besoin de chacun et chacune d’entre nous pour être ses témoins auprès de ceux que nous rencontrons, ou accompagnons, il a besoin de chacun pour aller chercher dans les eaux profondes les personnes les plus oubliées, les plus meurtries, les plus en attente d’espérance. Vivre son baptême, c’est répondre à cet appel et pourquoi pas comme Isaïe qui prend même les devants en disant : « Moi, je serai ton messager : envoie-moi ».
Seigneur, nous réalisons que pour embrasser cette humanité de ton amour, tu as besoin de nos bras pour jeter les filets dans les abîmes où beaucoup n’arrivent pas à émerger. Il y a de quoi être surpris et effrayé par le poids, par l’ampleur de la mission, mais comme dans l’évangile, tu nous invites à faire signe à d’autres. Comme les barques, notre cœur est débordant. Et quand la célébration s’achève, que l’aventure commence. De retour sur le rivage, que nous puissions ainsi te suivre. Amen.