3ème dimanche de Carême B –7 mars 2021
Ex 20, 1-17 – Ps 18 (19) – 1 Co 1, 22-25 – Jn 2, 13-25
Homélie du P. Michel Quesnel
La scène de la purification du Temple dont nous venons d’entendre la lecture selon l’évangile de Jean est également rapportée par les autres évangiles, mais dans des termes assez différents. D’abord, les gestes accomplis par Jésus sont plus violents chez Jean : Jésus se fait un fouet avec des cordes et il chasse les brebis et les bœufs ; sa juste colère est nettement plus marquée que dans les récits parallèles. Ensuite, Jean déplace cette scène au début de la mission de Jésus, au moment d’une fête de la Pâque, alors qu’elle eut vraisemblablement lieu plus tard, quelques jours avant le Vendredi saint, et qu’elle fut une cause directe de l’hostilité des grands prêtres et de la mort du prophète de Galilée. Et enfin, troisième différence remarquable, la violence des gestes est suivie d’un affrontement en paroles qui conduit Jésus à affirmer qu’il est capable de reconstruire le sanctuaire. Qu’est-ce que l’évangéliste Jean veut dire à ses lecteurs en apportant ces modifications à la tradition ?
L’une des clefs de lecture est sans doute dans la réflexion que l’évangéliste fait en aparté à propos du sanctuaire qui risque d’être détruit : « Mais lui parlait du sanctuaire de son corps. » Le corps de Jésus est sanctuarisé. Ce n’est pas tout à fait neuf dans le Nouveau Testament. Bien avant que Jean ne rédige son évangile, l’apôtre Paul avait déjà écrit aux chrétiens de Corinthe : « Ne le savez-vous pas ? Votre corps est un sanctuaire de l’Esprit Saint, lui qui est en vous et que vous avez reçu de Dieu ; vous ne vous ne vous appartenez plus à vous-mêmes » (1 Co 6,19). Si le corps de toute personne humaine est un sanctuaire, celui de Jésus l’est à plus forte raison.
En déplaçant cette scène et le dialogue qui l’accompagne au début de la mission de Jésus, Jean invite à ne pas banaliser la vie du prophète de Galilée. Ses paroles sont sacrées, ses gestes le sont également, ainsi que ses silences. Si des Juifs les contestent, ils se mettent à distance de leur propre Temple qu’ils prétendent honorer. Et finalement, ce qu’il faut respecter pour adorer Dieu, ce n’est pas un édifice de pierre, pour beau qu’il soit. C’est d’ailleurs ainsi que Jésus parlera à la Samaritaine, au chapitre 4 du même évangile : « Femme, crois-moi : l’heure vient où vous n’irez plus ni sur cette montagne ni à Jérusalem pour adorer le Père… L’heure vient où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité » (Jn 4,21…23).
N’est-ce pas un message analogue qui se dégage de la première lecture, alors que, pendant la marche des Hébreux au désert du Sinaï, Moïse reçoit de Dieu les Dix Paroles ? Dieu les lui communique par oral avant qu’elles ne soient gravées sur les tables de la Loi et que ces Tables ne soient déposées dans l’arche d’alliance. Le contenu a plus d’importance que le contenant. Le Temple de Jérusalem, qui sera construit plus tard encore, n’est qu’un support. L’essentiel de la vie religieuse et morale du peuple élu, c’est l’observance des dix Paroles ; et, dans ces dix paroles, il n’est aucunement question de sacrifices ni de culte.
Toutes les religions païennes de l’Antiquité comportaient des sacrifices sanglants offerts aux dieux et des liturgies. Seule la religion de l’alliance entre Dieu et le peuple juif met principalement l’accent sur la qualité de la relation à Dieu et de la relation au prochain, et non sur la valeur des sacrifices sanglants.
Il me semble que ces réflexions peuvent nous aider à garder confiance en ce temps de pandémie, dont nous sommes loin d’être sortis. Certes, les églises sont moins peuplées le dimanche qu’avant le confinement. Nous avons déjà été privés de messes, et peut-être le serons-nous encore. Nous vivons souvent cela de façon douloureuse. Mais avons-nous pour autant perdu l’essentiel ?
Dans certaines régions du monde, au Brésil par exemple, les prêtres sont très peu nombreux, et les villages ne bénéficient d’une célébration eucharistique que deux ou trois fois dans l’année. Les villageois y seraient-ils donc moins chrétiens que nous ? Au nom de quoi nous permettrions-nous de tels jugements ?
L’essentiel de la vie chrétienne, c’est la relation personnelle à Dieu et la pratique de la charité fraternelle. Les messes n’ont de sens que si elles conduisent à cela.
En faisant ces réflexions, on n’est pas loin non plus de ce qu’écrit l’apôtre Paul dans la 1ère épître aux Corinthiens : la croix de Jésus est le signe par excellence de l’amour que Dieu nous porte et de l’amour que nous devons nous porter les uns aux autres. La sagesse est utile, les miracles peuvent soutenir notre foi, mais tout cela est vain si cela ne nous conduit pas à donner de notre vie pour nos frères en accomplissant des gestes animés par l’amour.
Aimons donc. Aimons davantage dans ces temps difficiles. En cette période, il peut y avoir un peu moins d’embrassades, mais un peu plus de générosité. N’est-ce pas cela l’essentiel ?