
5ème dimanche du temps ordinaire – 9 février 2025
Is 6, 1-2a.3-8 – Ps 137 (138)1-2a, 2bc-3, 4-5, 7c-8 – 1 Co 15, 1-11 – Lc 5, 1-11
Homélie de Bernard Badaud
Appel et Envoi. Appelés pour être envoyés. Au chapitre 6 du livre d’Isaïe est un des premiers textes des prophètes du premier testament qu’on étudie au séminaire ! C’est assez logique et évident si on s’en tient à l’interpellation adressée par Dieu à Isaïe : « Qui enverrai-je ? qui sera notre messager ? » et la réponse d’Isaïe : « Me voici : envoie-moi ! ». En même temps c’est un peu trompeur, j’y reviendrai. Toujours aussi logiquement, l’Évangile proposé aujourd’hui nous raconte l’appel des apôtres et leur envoi en mission. Désolé de vous dire ça, mais là aussi, il va falloir faire un peu le ménage dans ce que nous imaginons. Prêts ? Alors allons-y !
Pour commencer écoutons l’apôtre Paul : il se désigne comme « L’avorton, le plus petit des apôtres, même pas digne d’être appelé apôtre. » C’est sûr que l’appel de Paul à devenir apôtre était improbable, et même inconcevable. Persécuteur, adepte inconditionnel de la loi et de ses obligations etc… Et pourtant ! Déjà l’histoire de Paul devrait nous réconforter au cas nous serions tentés de penser : « C’est pas pour moi ! ». Dans l’Évangile Pierre dit bien à Jésus : « Éloigne-toi ! ».
Pour en revenir à Isaïe sa réponse généreuse « Me voici, envoie-moi » est un tantinet présomptueuse. Et toute la suite du livre montre paradoxalement l’échec de sa mission. La note de la Bible qui présente le livre dit « Le rôle du prophète est de dire la parole du Seigneur, de transmettre son message. Il n’a pas d‘obligation de résultat. Que le Peuple l’écoute ou non ne dépend pas de lui ». Quand on consent à répondre à l’appel de Dieu, on ne sait pas où ça peut nous mener.
Dans l’Évangile, il y a l’appel des Apôtres qui se termine d’une belle façon : « Laissant tout, ils le suivirent ». J’ai entendu plein de sermons et lu beaucoup de commentaires exaltés et enthousiastes au sujet de ce supposé détachement radical des apôtres pour suivre Jésus. Sauf que toute la bande se retrouve dans la maison de la belle-mère de Pierre pour le repas, que la barque est toujours disponible et qu’ils continuent d’aller à la pêche, y compris après la résurrection de Jésus. Bref, Jésus et ses apôtres sont comme nous tous tributaires des exigences de la vie matérielle et ne vivent pas dans un rêve désincarné.
Tout ceci pour en venir à ce que je vous soupçonne d’avoir pensé en vous-mêmes, comme moi quand j’étais ado, en écoutant l’appel d’Isaïe et des apôtres : « Tout ça c’est admirable, mais c’est pas pour moi ! ». A la rigueur, c’est pour les religieuses et les religieux, les prêtres et les diacres. C’est d’ailleurs pour ça qu’on prie pour que Dieu envoie des ouvriers à sa moisson… à condition que ce ne me tombe pas dessus !
Bien sûr que si que c’est pour vous ! Pour nous ! Pour toi, pour moi … C’est pour chacun d’entre nous, appelés au cœur même de nos tâches quotidiennes : à l’école, au lycée, à l’université, au bureau, à l’hôpital ou à l’ehpad, au marché etc. Et c’est là qu’il faut savoir parfois « tout laisser »… non pas pour s’évader mais, au contraire, pour Le suivre : pour aller à la rencontre, réconforter, consoler, faire la paix… bref faire ce que Jésus a fait.
Tenez, je pense à Tanguy, compagnon scout de France pas vraiment porté sur la chose religieuse. Quand je venais pour une messe de groupe, il se découvrait soudain une urgence pour plier les tentes ou préparer le feu de la veillée. Un jour un copain l’a convaincu de venir avec lui à Lourdes pour faire le brancardier. Ça a fait comme dans l’Évangile, « laissant tout il a suivi le copain ». A son retour, il y avait en lui un peu de Saint Paul : ébloui et tombé par terre ! Lui qui était pas mal centré sur lui-même s’est mis à faire attention aux autres. Et pendant l’épidémie de Covid, il est venu me chercher pour récupérer des invendus dans le supermarché où il faisait un stage afin de les porter à des personnes confinées. Ça m’a rappelé Jésus s’adressant à ses apôtres lors de la multiplication des pains : « Donnez leur vous-même à manger. ».
Alors si en écoutant la parole de Dieu, ou la sollicitation d’un proche on entend « Qui enverrai-je ? » ça vaut sûrement le coup de répondre, comme les catéchumènes : « Me voici ! ».